Les pêches d’amateurs en méditerranée, de Jean Euzière

Ce mois-ci, j’exhume à nouveau un bouquin préhistorique qui traînait depuis longtemps dans ma bibliothèque, histoire de vous rappeler -si vous partez en vacances dans le sud- que la pêche est intemporelle ! Il s’agit d’un ouvrage de 300 pages assez complet sur les poissons de méditerranée, qui fait le point sur les techniques « modernes » de pêche, tout en faisant la part belle aux traditions. Il commence donc intelligemment par une série de planches en noir et blanc de bonne facture qui présente les principales espèces de poissons (et leurs noms locaux), de mollusques et de crustacés, suivit d’une description détaillée de leurs mœurs, ainsi que de leur méthode habituelle de pêche. C’est vraiment complet pour l’époque, et encore valable aujourd’hui, à quelques détails près (la taxonomie est fluctuante !).

Nous sommes en 1951, et la fibre de verre, si elle a déjà été inventée, est un produit futuriste dont l’existence reste confidentielle. Les cannes sont donc en bambou refendu (trop fragiles pour la mer), en acier (pas bon, car elles rouillent) en Duralumin (pas bon non plus car elles cassent) en roseau de Fréjus (légères, souples et solides : les meilleures !) en bambou noir ou blanc (un peu lourdes) ou en bois coloniaux comme ces snobinards d’Anglais, mais heureusement :  « …le frêne rend les mêmes services quant à l’élasticité et à la résistance ; de plus ,on peut s’en procurer à bon compte. Deux manches de pelle achetés chez le quincailler, permettent de fabriquer, avec un peu de patience, une bonne canne à lancer lourd. » Vous voici avertis… Tous à vos canifs ! La description complète du montage de cette canne est d’ailleurs décrite plus loin.

Les moulinets quant a eux ne sont vraiment « indispensables que pour la pêche des muges ou du loup, et les pêches au lancer, mi-lourd ou lourd….On trouve dans le commerce, ou on peut fabriquer soi-même, un excellent moulinet en bois monté sur un axe en laiton donnant toute satisfaction. ». Ben oui, la guerre n’est pas si loin, les gens sont fauchés et ça bricole dur dans les chaumières…

Les lignes sont désormais en nylon, mais « …les lignes en cordonnet de coton présentent l’avantage de ne pas vriller et d’être extrêmement souples une fois mouillées. Elles s’enroulent alors très facilement sur le moulinet. »

Il y a aussi le cordeau en chanvre, plus costaud, pour les poissons bagarreurs.

Le livre se scinde ensuite en deux parties, selon que l’on pêche à pied ou en bateau. La partie bateau est la plus passionnante. Toutes les techniques de pêches à soutenir sont abordées, ainsi que les méthodes des professionnels (ce qui est un peu étrange vu le titre de l’ouvrage), c’est-à-dire les palangres, les filets et les nasses, ainsi que la pêche au phastier (pêche à l’aide d’un projecteur, la nuit, avec une fouëne) ou la pêche spécifique du poulpe.

On est surpris par le nombre de filets différents. Il y a les connus : la madrague, la thonaire, le carrelet, la senne ou l’épervier, et puis les autres, aux patronymes plus exotiques : La bordigue, la paradière, le battudon, la boguière, la courantille, l’eissaugue, le guangui, etc.… tout un arsenal complexe visant le plus souvent à la capture d’une espèce précise. A méditer, à l’heure des filets dérivants.

Beaucoup d’astuces et de tours de main sont dévoilés ensuite pour la pêche à soutenir du pagre, des  tanudes (une sorte de daurade),  du denté (on ne disait pas encore denti à l’époque) ou de la daurade, qui peuvent encore servir de nos jours.

L’ouvrage se termine avec un chapitre sur les amorces, très intéressant. Il y a bien sûr les néréides que l’on appelle dans le sud les esches (prononcez « les zèèsqueu !), les mourrons ou mourre-durs (du Provençal mourre, qui signifie tête) qui sont des arénicoles, les limaçons, qui ne sont pas des petites limaces mais des escargots blancs de petite taille qui pullulent dans les champs de Provence en été, et qui sont une excellente amorce pour pêcher à la palangrotte (j’ai essayé, les serrans et les girelles en raffolent) , sans oublier le siponcle, ou bibi, et la pagure, ou piade, qui n’est autre que le Bernard l’Hermite. On parle également du secret des secrets, la fameuse préparation de la Pâte, amorce reine pour les poissons blancs (mulets, sargues, oblades, bogues, etc.) à laquelle on incorpore parfois du « broussin », sorte de mélange de fromage « à l’odeur épouvantable ! »

Les leurres sont brièvement abordés ; on y parle de cuillères argentées, de poissons artificiels en bois, mais surtout des plumes blanches, à condition qu’elles proviennent des ailes de goélands « naturellement imprégnées d’un corps gras qui les empêche de se mouiller ».

  En toute fin, l’auteur nous livre quelques recettes régionales, dont la poutargue, la soupe d’anémone de mer, l’omelette d’oursins et le peu ragoûtant pei salat (poisson salé)  « …qui était probablement le Garum des romains… »  et qui consiste à mélanger des petit poissons (anchois, sardines etc.) avec du sel et des aromates, ainsi qu’avec un peu de sénobre (ocre rouge) pour donner de la couleur. « On tourne le mélange deux fois par jour, matin et soir, pour le rendre chaque fois bien homogène, avec une cuillère en bois, ou mieux, avec une baguette de laurier. Au bout d’un mois environ, on obtient ainsi une purée de couleur brune que l’on passe dans une passoire en tôle métallique pour retenir les quelques arêtes qu’elle peut contenir….On conserve le pei salat dans des bocaux en verre que l’on tient dans une pièce fraîche. » Il vaut mieux en effet !  Le pei salat servait à la préparation de la pissaladière. Maintenant, on utilise de la purée d’anchois industrielle. Le goût est moins fort mais les gastro-entérites moins nombreuses aussi.

N’allez pas croire que j’ironise bêtement, ce bouquin est vraiment bien fait et on apprend plein de mots rares ou vernaculaires, mais toujours justes, et dans le plus pur esprit encyclopédique. C’est toute une époque, celle de mon père et de mon grand-père surtout, où des messieurs en souliers vernis et aux cheveux gominés professaient leurs oracles halieutiques à bord de leurs pointus, le canillon d’une main, le salabre de l’autre, en articulant méticuleusement chaque mot afin d’être bien compris de tous. Bref, un régal à la Pagnol à savourer avec un bon pastis pendant les vacances! (On trouve encore quelques exemplaires de cette rareté sur le web.)

Vous avez dit Rock Fisching?

 

 

 

Texte: Jean-Paul Charles

Photos extraites de l’ouvrage.

 

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