Moteur, hélices, vitesse …

Je me suis résolu, depuis le moment ou j’ai acheté mon premier moteur thermique il y a 12 ans environ, à me limiter à une puissance de 6cv pour propulser mon bateau.

En effet, résidant au sud de Metz, et considérant un rayon de 200km autour de mon habitation, je n’ai à proximité, hormis la rivière Moselle navigable, aucun plan d’eau autorisant le moteur thermique, mis à part un étang de 700 ha à 2 bonnes heures de route de la maison.

Le lac de Madine, Le lac du Der, le lac de pierre Percée, le plan d’eau de Plobsheim, … Uniquement navigation à l’électrique.

Aussi, faut-il considérer le prix du permis, la taxe de navigation, le coût et l’entretien d’un moteur de 15 ou 20cv … C’est une somme non négligeable à débourser, pour, au mieux, 10 à 15 sorties par an sur la rivière Moselle.
En outre, dans le département de Meurthe et Moselle, grâce à une fédération de pêche très active, je bénéficie d’une mise à l’eau tous les 10km environ. Il y a déjà de quoi s’amuser entre chaque écluse avec un 6cv.

Mon bateau est un AquaPêche 370, embarcation somme toute assez commune chez bon nombre de pêcheurs de la région.


Avec un équipement assez minimaliste (petit pontage, moteur avant, …), le poids de ce bateau en ordre de marche avec deux pêcheurs et leur équipement se situe aux alentours de 400kg.
Avec mon 6cv, un Yamaha F6 monocylindre 4 temps, j’atteins une vitesse maxi de navigation de l’ordre de 10 km/h.

Comme suite à la lecture d’articles traitants d’adapter les caractéristiques des hélices afin d’optimiser la vitesse de navigation, de vidéo You-tube qui décrivent le même sujet, de mon expérience personnelle avec un 15cv en Espagne, je me suis posé la question suivante :
N’y aurait-il pas moyen de « gratter » 2 ou 3 km/h (sachons rester raisonnable …) en changeant l’hélice de mon 6cv ? En effet, 2km/h de plus, ce serait déjà une augmentation de 20 % en vitesse de navigation.

Avant toute chose, il semble judicieux de rappeler quelques principes de base, et de mettre en lumière les interactions entre les différents paramètres qui régissent la navigation et la vitesse d’une embarcation mue par un moteur hors-bord (et in-board …).

Le déjaugeage

(Cf Wikipedia) Le déjaugeage est un changement de régime de l’avancement d’un objet dans l’eau. D’un régime « archimédien » (l’objet flotte par la poussée d’Archimède), on passe à un régime dynamique, où sa vitesse lui permet d’être porté par la surface de l’eau. Le bateau semble alors comme glisser sur l’eau.

Pour atteindre le point du changement de régime, il faut pouvoir dépasser la vitesse dite « de carène » de votre embarcation.

Les deux principales causes de résistance à l’avancement de votre bateau sont la traînée (force parallèle au flux d’eau, sorte de frottement. Plus la traînée d’un objet est importante, plus cet objet va opposer de la résistance à son déplacement), et la résistance de la vague qui se forme à la proue du bateau.
Il faut donc une puissance de motorisation suffisante afin de parvenir à la vitesse nécessaire qui provoquera le point de bascule du changement de régime de navigation.

Une fois atteinte la vitesse ou le bateau déjauge, le besoin en puissance pour se maintenir déjaugé est beaucoup plus faible, et permet d’économiser du carburant, tout en maintenant sa vitesse de déplacement.

Je vous passe sur les formules mathématiques qui permettent d’évaluer cette vitesse de déjaugeage en fonction des caractéristiques de votre coque.
Dans le cas de l’Aquapêche 370, la vitesse à atteindre pour déjauger se situe quelque part entre 16 et 20 km/h.
Autant le dire tout de suite, il est inutile d’imaginer pouvoir déjauger ce bateau avec un 6cv.

 

Le régime moteur, relation entre puissance et couple

Une des caractéristique d’un moteur thermique, c’est que la courbe de couple d’un moteur normal à essence atteint son maximum pour un certain nombre de tours par minutes, appelé régime de couple maximal.

Image – passionfocus.com

Le moteur ne fonctionne correctement, et surtout d’une manière optimisée par rapport à sa consommation en carburant notamment, que dans une plage plutôt restreinte de régimes. Comme il n’y a pas de boite de vitesse pour adapter la vitesse et le régime (cas d’une voiture par ex.), il faut comprendre que le moteur devra avoir suffisamment de couple à bas régime pour prendre de l’accélération, et réussir ensuite à pouvoir dépasser la vitesse de carène (s’il est assez puissant pour cela).

Je n’ai pas pu obtenir ces données techniques (courbe puissance/couple) pour mon moteur auprès de Yamaha France. En effet, on m’a gentiment envoyer « buller » en me renvoyant auprès de mon revendeur, qui, lui, ne possède pas ce genre de documentation.


Je n’ai que les données succinctes que l’on peut trouver sur le dépliant publicitaire du moteur afin d’illustrer mon propos.
Dans le cas de mon moteur YAMAHA F6, si l’on se fie à la documentation, on peut considérer que la plage de régime optimum se situe entre 4500 et 5000 t/m. Son rapport de démultiplication et de 2,08.

 

La navigation avec un moteur thermique

L’hélice

Une hélice se caractérise principalement par deux paramètres : Son diamètre et son pas (ou « pitch »).
Ce sont ces deux données que l’on trouvera gravée sur votre hélice, le plus souvent sur une des pale ou sur le moyeu.

Hélice 7 1/2 x 7, dimensions en pouces (diamètre 18.4 cm, pas (pitch) 17.8 cm)

Le diamètre permet de définir principalement la surface de contact avec l’eau. Plus une hélice est grande, plus elle aura de force d’appui sur l’eau (et plus il faudra un moteur puissant).
Dans le cas des petits moteurs hors-bord, on a pas vraiment de choix de diamètre d’hélice, puisque l’on est déjà sur les plus petits diamètres existants.

Le pas est certainement la donnée la plus importante pour caractériser une hélice. Le pas représente la distance théorique parcourue par une hélice lorsqu’elle effectue une rotation de un tour.
Je précise bien théorique, car on considère ici que l’eau ne se déforme pas.


On pourrait comparer le pas d’hélice comme étant le filetage d’une vis, et l’eau comme un écrou.

Dans son adéquation avec votre moteur et votre bateau, il faut imaginer votre pas d’hélice comme la boîte de vitesse d’une automobile.
Démarrage en première (pitch peu élevé), l’accélération est rapide, mais votre vitesse maximale sera faible.
Si vous décidez maintenant de démarrer en quatrième (plus grand pas), l’accélération sera plus lente, et votre vitesse maximale sera plus élevée.

Mais attention :
Si vous choisissez un pas d’hélice trop élevé, le moteur devra fournir un effort trop important, et ne pourra pas atteindre assez de tours/minute. Il sera alors incapable de faire prendre de la vitesse à votre bateau.
Avec un trop petit pitch, le moteur effectuera beaucoup trop de tours/minute, et arrivera rapidement au rupteur.
Idéalement, il faudrait réussir à adapter le pas d’hélice afin de se retrouver, à plein gaz, dans le régime optimum de fonctionnement du moteur.

Parmi les autres paramètres d’une hélice, on peut également citer la forme des pales, leur nombre, le matériau qui la compose (aluminium, inox, …), etc …

 

Quelques calculs

Hormis pour certaines applications en compétition, une hélice n’est pas prévue pour tourner à plus de 3000 t/m.
Un moteur hors-bord a une vitesse de rotation optimisée qui est située habituellement entre 4500 et 6000 t/m, et son rapport de démultiplication se situe en général entre 1,8 et 2,33.

Calculons la vitesse théorique que nous pourrions atteindre avec l’hélice fournie d’origine, à un régime moteur de 5000 t/m.
(On ne tient ici pas compte de la puissance du moteur, du poids du bateau, de la fluidité de l’eau)

L’hélice d’origine est une 7 1/4 x 8 1/4, le rapport de démultiplication de mon moteur est de 2.08.

En cm, cela nous donne un pas de 21cm (8,25 x 2,54).
Avec un rapport de démultiplication de 2,08 à 5000 t/m, nous obtenons 2403 t/m à l’hélice.
21 cm à 2403 t/m, nous obtenons une vitesse théorique de déplacement de 50463 cm/m.
En km/h, cela nous donne donc une vitesse de 30 km/h. Ouch !!!

C’est ici qu’il faut prendre en compte une donnée importante : Le poids du bateau et la forme de la coque vont provoquer une résistance au déplacement, qui vont engendrer un « glissement », c’est à dire une différence de distance de déplacement par rapport à la vitesse théorique. Et oui, l’eau est un fluide, et ne se comporte pas vraiment comme un écrou.

Ce glissement est d’autant plus important que le bateau est lourd, et que l’hélice est petite. Essayez, pour voir, de ramer avec une cuillère à soupe …
Également, appuyez la proue de votre embarcation contre la berge, et mettez votre moteur en marche (doucement …). Vous avez ici simulé un poids de déplacement infini, qui va générer un glissement de 100 %.

Ce glissement est maximum lorsque l’on s’approche de la vitesse de déjaugeage, et diminue ensuite avec la vitesse une fois le bateau déjaugé.

De deux choses l’une pour mon cas particulier :
Comme ma vitesse réelle de déplacement est de 10 km/h, soit j’ai un glissement qui frise les 70%, soit mon moteur n’atteint pas les 5000 t/m, ou encore, c’est un cumul de ces deux facteurs.

 

Les essais réels

Personne n’est en mesure de pouvoir véritablement prédire avec précision quelle est l’hélice qui s’adaptera au mieux à votre bateau.
Seuls des expérimentations et quelques tâtonnements en conditions réelles le permettront, ce qui peut rendre les essais relativement onéreux. En effet, le tarif d’une hélice est plutôt élevé, ce qui explique que bon nombre d’entre nous se contentent de l’hélice d’origine fournie avec le moteur.

Pour ma pomme, il a donc fallu que je commande différentes hélices (qui heureusement pour un 6cv, ne sont pas chères en OEM), et que j’attende la bonne fenêtre météo afin de pouvoir réaliser des essais en condition optimum.

Remarquez la forme des pales qui diffèrent suivant les modèles d’hélice : Difficile de préjuger quelles peuvent être les conséquences en navigation.

Première chose, d’une grande importance : Il faut équiper le moteur avec un compte-tour.
On en trouve pour quelques euros sur les sites asiatiques de vente en ligne.

Quelques tours autour du fil de la bougie, un peu de ruban adhésif pour maintenir tout ça en place, et il n’y a plus qu’à paramétrer le compte-tour pour un moteur 4 temps, soit un allumage pour deux tours moteur.

En effet, il est important de s’appuyer sur des valeurs mesurées et rigoureuses, pour ne pas à avoir à se fier à des sensations qui sont, par définition, très suggestives et peu fiables.

 

Les conditions de mesure sont :

2 personnes à bord avec répartition équilibrée des masses
1 batterie sous le banc avant, présence du moteur avant (Minn Kota Powerdrive)
La vitesse de déplacement est mesurée avec le GPS du sondeur, et confirmée avec le téléphone
La vitesse de rotation du moteur est mesurée à l’aide d’un tachymètre électronique
Chaque mesure de vitesse est une moyenne calculée sur la base d’une descente et d’une remontée du courant (qui était très faible ce jour là, l’écart de vitesse étant de moins de 2 km/h)

Les hélices testées sont :

7 1/2 x 6
7 1/4 x 7
7 1/2 x 8
7 1/4 x 8 1/4 (hélice fournie d’origine avec le moteur)

A noter qu’il existe également une hélice de 7 1/4 x 9, mais j’ai estimé que son pitch serait certainement trop important (la conclusion de cet article me donnera raison);

 

Voici les relevés pour chaque hélice testée :

 

 

 

 

 

 

Le constat, à mon grand désespoir, est malheureusement sans appel : Le poids de mon embarcation est manifestement trop lourd par rapport à la taille de l’hélice et à la faible puissance du moteur.
Impossible de dépasser cette vitesse de 10 km/h, qui semble comme un mur infranchissable.
A plein régime, on frôle les 60% de glissement, et on peut en déduire que le moteur est peu efficace avec mon bateau. Avec une puissance adéquate et une hélice adaptée, ce glissement ne devrait pas dépasser 15%.

Néanmoins, on peut toutefois relever quelques points notables :

Avec un pitch de 6, poignée dans le coin, le moteur atteint le surrégime, soit plus de 5600 t/m. Bien que cette hélice semble avoir le meilleur rendement, son pitch est trop faible.

Avec un pitch de 7, le moteur frôle 5500 t/m. On est un peu limite, le moteur est très bruyant, et de toute façon, cette hélice n’améliore pas la vitesse de pointe.

Avec un pitch de 8, on est plutôt pas mal. on bénéficie de toute la plage de rotation de la poignée d’accélérateur, et on arrive à 4800 t/m, qui est une bonne valeur par rapport aux données techniques.

Avec le pitch de 8 1/4, on est limité à 4500 t/m. cette valeur est atteinte à environ mi course de la poignée de gaz. Au delà, il ne se passe plus rien, le moteur est à bout de souffle.

A noter que j’ai également effectué les essais seul à bord, et que cela ne change pratiquement rien à la vitesse de navigation, quelque soit ma position dans le bateau (à l’arrière, au milieu).
Pourtant, les motorisations de petite puissance (moins de 20cv) sont très sensibles aux variations de poids. En Espagne, avec un 15cv, à deux pêcheurs, on plafonnait à 17/18 km/h. Seul, j’arrivais à dépasser les 28 km/h.
J’imagine que je suis à une limite physique de navigation, puisqu’à 4 personnes à bord, j’arrive encore à frôler les 9 km/h avec mon AquaPêche et mon 6cv.

 

Que dire de plus : J’y ai cru, mais les limites de la physique m’ont prisent au dépourvu. Il faudra que je me fasse une raison avec cette vitesse de navigation.
Au final, après discussion sur un forum lié à la navigation, j’ai conservé l’hélice de pitch 8 sur mon moteur. En effet, je suis dans la bonne plage de régime, et on peut espérer qu’en cas de surcharge liée au vent par exemple, je bénéficie d’un peu plus de couple par rapport à l’hélice de 8 1/4 en cas de légère baisse de régime.

AB

 

Relire l’ article Hélice et moteur hors bord, une délicate alchimie

Voir différents modèles d’hélices

6 réflexions au sujet de “Moteur, hélices, vitesse …”

  1. Bonjour, excellent article qui concerne beaucoup d’entre nous. Je suis équipé d’une Armor 400 et d’un Mercury 6cv, je plafonne aussi à environ 11 km/h. J’aurai si vous le permettez une question et une remarque:
    Mon Armor 400 est assez chargée à l’arrière, (moteur thermique, moteur électrique, 2 batteries et moi-même) une meilleure répartition des masses me permettrait elle un gain de vitesse?
    Avec le simple moteur électrique (55 lbs), j’obtiens la vitesse de 5 km/h soit la moitié de celle obtenue avec le thermique alors que la puissance du 55 lbs est très inférieure à la moitié de celle du thermique. Je ne m’explique pas cet écart.
    Encore bravo pour votre article.
    Pierre

    • Bonsoir Pierre,

      La relation entre vitesse et puissance de motorisation n’est pas linéaire …

      Si l’on s’en tient simplement à la formule E=1/2.M.V², avec l’énergie cinétique dénuée de toute autre contrainte aérodynamique, il faut déjà multiplier par 4 la puissance pour doubler la vitesse.

      Et oui, il y a la vitesse au carré, ce qui entraîne, à partir d’une certaine vitesse, une augmentation de puissance considérable pour gratter quelques km/h.

      Et on peut y ajouter Ft=1/2 Ro v.v CwA

      (Ro) est la densité de l’air( ou plutôt de l’eau pour notre cas) et CwA la surface de traînée.
      Cette force est proportionnelle au carré de la vitesse, et contribue de plus en plus à limiter l’accélération du véhicule lorsque la vitesse s’accroît.

      Axel

  2. J’ai le même bateau et un 6 cv Mercury et quand tout va bien, j’arrive à la vitesse faramineuse de 10,2 km/h (au sondeur,2 personnes et tout le matos.Avant avec la fun yak 350 (moins large et moins lourde, j’ atteignais 11,5 et j’avais l’impression que le moteur “tournais plus rond”.
    Amicalement
    Serge

  3. Salut ,
    Avec un fun yak 350 en me plaçant sur le banc avant avec rallonge et moteur 6cv Suzuki .j arrive à prendre 20km/h au GPS sur Saône
    J ai fait une vidéo sur YouTube
    Je pense que le fun yak et plus léger.
    À bientôt

    • Bonjour David,

      Le poids de l’embarcation (plus le pêcheur, le matériel, etc …), et la forme de la coque ont énormément d’importance avec une motorisation de faible puissance.

      Le fun yak est bien plus léger, la coque mois large, ce qui génère moins de traînée.
      Sans compter mon petit pontage et le moteur à l’avant avec la batterie sur le 370, qui ajoutent encore 100kg …
      Pas étonnant d’avoir une différence de vitesse de déplacement.

      A noter que l’Aquapêche 370 était au départ homologuée pour 15cv maxi, ce qui devait être un peu juste. Ce bateau est depuis deux ans prévu pour un 20cv.

      De même, un copain me gratte un peu en vitesse avec son Aquapêche 350, avec le même moteur yamaha 6cv … Il approche les 13 km/h.

      Avec son pneumatique 320, un autre copain frise 30km/h avec son mercury 6cv …

      Pour ma pomme, je me contenterai donc de mes “pauvres” 10km/h …

      Axel

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