Culture Pêche

 Les Musées recèlent des petits trésors halieutiques que je me propose de vous faire découvrir au fil des mois. Pour ce premier opus, j’ai décidé de vous parler de la disparition du bleu chez Giuseppe Arcimboldo (Artiste Italien. 1527-1593).

Ce célèbre tableau  fait partie du cycle des quatre éléments, qu’il peignit vers 1580 environ. Il s’agit bien évidemment de l’eau, sujet qui nous intéresse, nous autres pêcheurs, au plus haut point. Et ce qui est frappant, c’est qu’il n’y a pas un gramme de pigment bleu sur la toile. Pas la moindre trace. L’énigmatique et anthropomorphique créature qui se présente à nous est traitée selon la technique nouvelle pour l’époque -nous sommes en pleine Renaissance- du clair-obscur, dans des tons ocres, rouges, orangés. C’est de l’eau chaude, assurément. Seul le collier de perle apporte par contraste une note plus froide.

Examinons maintenant en détail les différents éléments qui composent ce visage intrigant. Tous sont peints avec beaucoup de minutie et un grand sens de l’observation. On peut sans se tromper désigner clairement la plupart des poissons qui s’y trouvent : nous avons des roussettes, une raie, une vieille, un grondin, un turbo, un hippocampe et, parmi tous ces poissons marins, un brochet en embuscade au niveau du cou…Il y a aussi les crustacés : Tourteau, écrevisse, crevettes, et une superbe mante ou squille vient orner l’œil d’un diodon en guise de sourcil. Les mollusques sont nombreux également : Pieuvre, buccin, bénitiers et divers autres bivalves parsèment le portrait.  Plus étrange : une tortue marine se faufile au dessus d’une grenouille et un petit phoque assez réaliste jouxte une tête de morse fantaisiste. Il faut dire qu’à l’époque, la classification des êtres vivants était parfois surprenante… Les baleines étaient considérées comme des poissons au sens strict, et d’ailleurs c’était plutôt l’élément dans lequel vivaient les animaux qui définissait leurs qualités. On commençait à voir les premiers cabinets de curiosités. Les « philosophes de la Nature » comme les riches collectionneurs adoraient cet étalage d’objets hétéroclites où les momies côtoyaient les « pierres de lune », et où les fossiles du dévonien s’alignaient aux côtés des monnaies anciennes.  Tous les règnes sont donc ici mélangés dans un savant désordre afin de composer cette tête singulière. Point culminant de ce portrait : ces quelques branches de corail rouge vif qu’asperge un serran-baleine de ses naseaux puissants.

Je trouve pour ma part que c’est l’un des plus beau tableau d’Arcimboldo, par la richesse des détails et l’équilibre parfait des masses et des tons. Il en a fait beaucoup d’autres du même genre, avec des fruits, des légumes, des fleurs, des objets et d’autres sortes d’animaux, mais celui-ci est sûrement le plus abouti. Alors non, c’est vrai, il n’y a pas une once de bleu dans cette « Eau », mais ce visage saisissant est en tout point semblable à ces poissons mystérieux que balayent l’espace de quelques secondes les projecteurs des bathyscaphes explorant les grands fonds, nous laissant une impression troublante et fugitive.

En un mot, une apparition.

 

Texte et photo: Jean-Paul Charles

 

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