Pêcher à la cuillère ondulante par Jean Paul CHARLES

Si je ne devais emporter qu’un seul leurre sur une île déserte, ce serait certainement une ondulante. C’est à la fois le plus épuré et le plus polyvalent des leurres, efficace en mer comme en eau douce, capable d’exploiter intégralement toute la colonne d’eau et de séduire tous les poissons carnassiers, de la truite au thon rouge.

Etrangement, elle n’a jamais eu en France le succès qu’elle mérite. On a colporté bien des rumeurs sur elle, dont la plus fâcheuse serait que les poissons prennent appui sur la palette pour se décrocher. En vérité, on n’a pas plus de décrochage qu’avec les autres leurres.

Bien sûr, elle est moins affriolante que les leurres souples et les poissons nageurs, elle a ce petit côté austère, rétro, qui fait douter de sa valeur réelle, et pourtant quelle tombeuse de carnassiers !

Je crois surtout que sa mauvaise réputation dans l’hexagone est due au fait que c’est un leurre qui demande une animation assez fine, et qu’elle ne pêche que rarement toute seule.

D’autre part, les modèles et les grammages que l’on trouve chez nous sont souvent inadaptés, quoique les choses commencent à changer, comme nous le verrons plus loin. Enfin, pour les plus septiques qui ne voient en elle qu’un vulgaire bout de métal, il n’est qu’à consulter les catalogues de pêche Américains ou Scandinaves pour se persuader de l’importance qu’elle a hors de nos frontières et de ne pas douter de son efficacité.

 

Les différents modèles

 Ce qu’il faut toujours avoir à l’esprit lorsqu’on achète une ondulante, c’est le rapport poids/surface, ou plus exactement densité/surface. Une cuillère étroite et épaisse par exemple sera plutôt indiquée pour des fonds très important ou des courants très violents.  Au contraire, une palette large et fine papillonnera d’avantage en surface, elle sera plus à l’aise pour la prospection d’étangs peu profonds. Elle se prêtera à des animations plus lentes.

C’est donc le type de cours d’eau et leur profondeur qui vont déterminer le choix de la forme, plutôt que le type de poisson ciblé, c’est un détail important. D’une manière générale, il vaut mieux éviter les « enclumes », même par fonds très importants, il faut que le leurre puisse planer pour être pleinement efficace. A titre indicatif, les cuillères que j’utilise le plus mesurent 12cm environ pour un poids de 30 grammes, avec une palette de 2,5cm de large.

Le galbe a aussi sont importance, on entre là dans les subtilités de l’hydrodynamisme.

Les anciennes cuillères ondulantes avaient la forme de cuillères à soupe, avec un galbe uniquement concave. Alors certes on peut pêcher et attraper du poisson avec ce type de cuillères, mais leurs gros défaut est de se mettre immédiatement en rotation, et le moins qu’on puisse demander à une ondulante, c’est d’onduler ! La fameuse forme suédoise en S corrige ce défaut, et pratiquement touts les cuillères récentes l’ont adoptée. Grâce à cette forme caractéristique, les ondes de pression se superposent pour donner ce tangage nonchalant qui fait craquer les brochets ! A noter que plus le galbe est prononcé et plus la cuillère va faire des embardées, et qu’à contrario plus il est faible et plus la nage sera serrée.

Tout ce qui précède est bien théorique, et on ne trouve la « bonne carburation » qu’après essais et tâtonnements au bord de l’eau, la meilleure méthode (et c’est valable pour tous les leurres) étant d’observer son comportement par eau claire le long d’une rive dégagée.

La plupart des ondulantes sont en laiton ou en acier, voire en alliage d’étain, avec un revêtement métallique argenté ou doré obtenu par anodisation. Nous verrons plus loin comment les customiser pour les rendre plus attractives.

L’armement

 Les ondulantes sont souvent vendues avec un émerillon baril en tête et un hameçon triple volumineux en queue. On se demande bien pourquoi. Le triple doit en effet être légèrement inférieur à la largeur de la palette si vous ne voulez pas perdre vos cuillères les unes après les autres. Pas de soucis à la touche, l’articulation de l’anneau brisé permettra, au triple, même petit, de se planter dans la mâchoire du poisson (n’oublions pas que les carnassiers aspirent leurs proies avant de les mordre). Il sera d’autre part assez fort de fer, car les triples trop fins, s’ils permettent d’excellents ferrages, causent aussi beaucoup de décrochés dû au cisaillement des chairs.

Les grands hameçons simples sont très bien aussi dans les coins les plus encombrés. On choisira évidemment leur taille en fonction de celle de la cuillère.

Enlevez ensuite absolument l’émerillon de tête et l’anneau brisé si vous voulez vraiment que la cuillère ondule, sinon elle va tourner inexorablement. Pour limiter le vrillage, vous pouvez toutefois intercaler un petit émerillon baril avant  le bas de ligne. Une agrafe double a large ouverture reliera l’ondulante au bas de ligne. Cette agrafe est très importante, c’est elle qui permet la fluidité des déplacements horizontaux et verticaux du leurre. Choisissez-la de bonne qualité, comme tous les accessoires.

 

 

J’utilise systématiquement un bas de ligne en acier dès que la présence du brochet est avérée.  De l’acier et rien que de l’acier : Les histoires de tresse ou de fluorocarbone qui résistent aux dents de messire Esox ne sont que fadaises. La longueur idéale se situe entre 30 et 50cm, pas moins, pas plus. Un gros brochet m’a un jour englouti entièrement une ondulante de 15cm jusqu’à l’œsophage…il ne restait plus que 10cm de bas de ligne qui pendait à l’extérieur de son immense gueule !

Un bas de ligne assez long préserve davantage la nage du leurre en diminuant la cassure avec la ligne. Trop long, il gêne les lancers. Réservez les coûteux  aciers à 49 brins pour la pêche au vif. J’utilise avec succès depuis des années de l’acier 7 brins gainé nylon, dans les plus fins diamètres (5 à7kilos de résistance), sertis avec de petits sleeves. C’est souple, très solide et ça ne boucle pas.

Teaser ou pas teaser ? J’ai noté que l’ajout d’un leurre souple style virgule sur le triple modifiait considérablement la nage des cuillères légères. Elles ondulent moins et leur faculté à faire la « feuille morte » lors des relâchés est fortement diminuée. Une touffe de plume ou de poils synthétiques est préférable pour ne pas déséquilibrer le leurre. Les modèles lourds quant à eux s’accommodent sans problème de toute sorte de twists, slugs, et autres worms, selon votre fantaisie.

 

Customiser ses ondulantes

 Les ondulantes du commerce sont la plupart du temps dorées ou argentées. C’est bien mais en perpétuel insatisfait que je suis, je cherche toujours à améliorer mes leurres et les palettes assez grandes des ondulantes se prêtent bien aux effets visuels divers.

Deux méthodes principales :

L’adhésif holographique : On trouve de nombreux site internet vendant du papier holographique adhésif. Ils offrent un large choix de couleur et de texture avec un conditionnement en rouleau ou en feuilles. Il suffit ensuite de coller directement l’adhésif sur la palette et de découper ce qui dépasse au cutter. Il se forme parfois des plis, surtout au niveau des parties bombées de la cuillère, mais il suffit de faire une petite entaille, au cutter toujours, pour les faire disparaître. Les adhésifs holographiques apportent selon moi un réel avantage, surtout en condition de faible luminosité (aube et crépuscule) et permettent aux poissons de repérer plus facilement vos leurres grâce aux micro-flashs intermittents  émis par  leurs prismes.

La peinture aérosol : Technique intéressante lorsqu’on veut traiter beaucoup de leurre à la fois. Les bombes de peinture fluorescentes permettent d’avoir des mélanges de couleur assez flashy, et on sait que le sandre est particulièrement réceptif aux couleurs fluo.

Mais j’ai également dans mes boîtes des ondulantes entièrement noires… Comme on le voit, l’éventail des couleurs est vaste, et le choix fonction de son goût et de sa propre expérience. Avec le temps, je crois d’ailleurs davantage à la notion de valeur (claire ou foncée) qu’à celle de couleur.

L’animation

 La clé de la réussite réside dans l’animation, qui est aussi fine et complexe que celle du mort-manié par certains côtés, et forcément très difficile a expliquer à un novice. Il faut garder à l’esprit que vous devez insuffler la vie à ce petit bout de métal, le faire virevolter, accélérer, ralentir, décrocher, repartir, le tout de façon très fluide.

En rivière, souvenez-vous que les poissons se tiennent « nez au courant », et qu’un leurre qui dévale la rivière aura plus de chance d’être pris qu’un leurre qui la remonte. Aussi, après un lancer amont,  il faut laisser la cuillère redescendre le courant presque sans mouliner, bannière tendue, en donnant quelques petits coups de scion pour la faire virevolter. Quand votre ligne fait un angle de 90° avec la rive, commencez une récupération lente entrecoupée de pause, toujours à la limite du décrochage. La touche a souvent lieu au moment d’une reprise. Essayez dans la mesure du possible de raser le fond, c’est là que se tiennent généralement les plus beaux poissons.

Mais c’est en lac que l’ondulante donne la pleine mesure de ses capacités. Elle se lance à des distances phénoménales (plus de 60 mètres pour les meilleurs modèles) que nul autre leurre n’atteint en général, et c’est bien utile quand on pêche à pied ou que l’on veut approcher un poste discrètement d’assez loin. L’animation classique consiste à laisser couler son leurre au fond (bannière tendue si la profondeur n’excède pas 6 mètres, en contrôlant le fil entre le pouce l’index dans les fonds supérieurs, la touche pouvant intervenir à la descente), puis à le ramener en marquant des pauses et en reprenant fréquemment contact avec le fond. C’est donc une pêche assez lente, minutieuse, où la concentration est très importante et où il faut lire le fond, afin d’insister sur les cassures. La touche est souvent brutale, mais parfois c’est une simple sensation de lourdeur sur la ligne, une perte de contact, ou un léger toc. Dans tous les cas, un ferrage  canon s’impose compte tenu de la distance souvent importante des lancers. D’où l’intérêt d’avoir des hameçons parfaitement affutés, et des corps de ligne en tresse.

On peut également pêcher à mi-hauteur ou en surface, mais à mon avis c’est au « fin fond du fond » que l’ondulante est la plus efficace. Laissons les autres leurres ratisser plus haut !

Le maniement d’une ondulante permet d’exprimer sa créativité et sa personnalité, et il y a autant d’animations possibles que de pêcheurs. Au début, on en fait toujours trop, puis on fini par trouver son style, et les captures deviennent plus régulières.

La canne

Je trouve personnellement que les cannes à lancer actuelles basées sur le standard mort-manié sont souvent trop raides pour animer correctement les ondulantes, elles leurs donnent une allure saccadé, alors qu’il faut privilégier les mouvements fluides. Du nerf il en faut, certes, mais un peu de souplesse ne nuis pas, surtout lorsqu’on pêche avec de la tresse.  C’est pourquoi les cannes spécialisées leurres souples sont finalement mieux adaptées, du moment qu’elles montent jusqu’à 50 ou 60g de puissance et que leur sensibilité est correcte. Longueur 2,70 maximum, même du bord. Une canne courte est toujours plus précise et sensible qu’une gaule de 3,50 mètres. Quant au soi-disant bras de levier des longue cannes, c’est au poisson qu’il profite, pas au pêcheur, relisez mieux Archimède !

 

Brochet de 1.12m et de 9.5kg pris à l'ondulante par l'auteur

Le moulinet

Choisissez de préférence un modèle spining  mi-lourd, simple et costaud :14 roulements sont parfaitement superflus, assurez-vous par contre de la qualité du frein et de la taille de la bobine, qu’on préfèrera assez large, et même la plus large possible, gage de lancers lointains. Le poids important de ces engins n’est pas vraiment un problème, puisqu’au contraire ils équilibrent mieux la canne au niveau du poignet. A titre d’exemple, le poids moyen de mes moulinets tourne autour de 500 grammes, je peux vous assurer qu’on ne fatigue pas plus qu’avec ceux qui pèsent moitié moins, et puis c’est de la pêche sportive ou pas ?

Ceux qui préfèrent les moulinets casting n’auront aucune peine à propulser ces leurres assez lourds, c’est d’ailleurs de ce genre de moulinet que se servent majoritairement les pêcheurs Américains.

 

Les fils

Depuis l’apparition des tresses, j’avoue avoir presque complètement abandonné le nylon, mais ce dernier avait des avantages, notamment une plus grande discrétion.

Avec l’émergence des nylons fluorocarbones, de nouveaux horizons s’ouvrent à nous. Si les premiers fluoros étaient bien trop raide pour lancer correctement, les dernières générations de fils comme le Varivas Rock Fisch ou le Parallelium Hybrid semblent offrir un bon compromis entre la tresse et le nylon. Côté diamètres, et sachant qu’on s’adresse souvent à des beaux poissons, il vaut mieux ne pas descendre en dessous du 26 centièmes pour le nylon. 30 centièmes, c’est la sécurité. Au-delà, les performances au lancer et la discrétion ne sont plus de mise.

Pour la tresse, on choisira des résistances allant de 10 à 15 kilos (je rappelle que les diamètres exprimés en  centièmes de millimètres ne veulent rien dire pour les tresses qui ne sont pas de section ronde et qu’il faut généralement diviser par deux les résistances annoncées par les fabricants…).

Quelles ondulantes ?

  Tous les sites et magasins de pêche proposent des ondulantes valables, mais on peut citer en particulier l’excellent Ardent Pêche qui propose des palettes nickelées non montées de très bonne facture, sans doute ce que vous trouverez de mieux actuellement en France, et pour un prix fort modique. Sinon, parmi les classiques :

-Les Effzet de DAM.  Une excellente nage et des tailles intéressantes pour le brochet. Méfiez-vous, il existe beaucoup d’imitations qui ne valent rien ! Effzet et rien d’autre !

-La Syclopsde Mepps, et ses fameuses dix faces.

-Rapala diffusait autrefois la très bonne Inkoo, mais on ne la trouve plus. Mystère…

-Chez Décathlon, on trouve aussi une ondulante de marque Géologic qui nage fort bien, mais dont la finition n’est pas à la hauteur, hélas.

-Le site Pêche Soleil propose quant à lui les fameuses cuillères Scandinaves Kuusamo et Mozzi, et d’autres encore pour la traîne en lac. Des valeurs sûres dans des grammages bien étudiés, malheureusement beaucoup plus onéreuses !

Pour quels poissons ?

 Le brochet est le principal client des ondulantes. Je ne connais pas de leurre équivalent pour faire craquer les vieux spécimens retranchés dans leur repaire inexpugnable. Pour ces derniers, pas d’hésitation, du lourd, du chausse-pied, mais lentement, toujours très lentement présenté. Vous verrez que les sifflets tapent également sur ces leurres parfois presque aussi grand qu’eux !

Toutes les formes sont valables, de la plus effilée à la plus rectangulaire.

Mes couleurs holographiques fétiches : Argent, or clair, rose.

Mes couleurs peintes : Blanc/tête rouge, noir/jaune, vert olive. Le brochet semble moins réceptif aux couleurs fluo.

Le sandre répond bien aux sollicitations d’une ondulante trapue d’une dizaine de centimètre, dandinée lentement dans les fonds importants. Couleurs fluo jaune ou vert fluo. Les peintures phosphorescentes sont également régulièrement prenantes. D’une manière générale, tout ce qui brille sous l’éclairage d’une lampe à ultraviolet (lumière noire)!

Sinon les couleurs argent, holographiques ou non, donnent de bons résultats au moment des chasses.

La perche raffole des micro-ondulantes à l’automne quand elle chasse dans les bancs d’alevins. Couleur argent ou rose holographique. Mais la meilleure couleur pour la perche reste…la couleur perche !

Je prends régulièrement de gros spécimens solitaires en traquant le brochet avec des ondulantes de belles tailles, souvent en pleine eau ou près de la surface.

Le chevesne en rivière tape volontiers sur des ondulantes petites à moyennes, surtout dans les couleurs doré ou nacré-rose.

Il n’y a guère de silures dans les plans d’eau de ma région, je n’ai donc pas de conseils pertinents à vous donner, mais je me souviens avoir entendu Jean-Claude Tanzilli affirmer que les plus gros modèles n’étaient pas forcément les meilleurs, et que les cuillères pour brochets convenaient parfaitement.

Je ne pêche pas assez souvent la truite aux leurres pour vous en parler non plus, les rivières que je pratique ne s’y prêtent guère (trop étroites), mais il existe une abondante littérature traitant du sujet, où l’ondulante est régulièrement citée.

 

 Avenir des ondulantes

 A priori, un leurre aussi abouti et épuré n’a plus guère de chance d’évoluer. Pourtant, on a vu qu’avec le développement de la pêche du silure, de nouveau modèles sont apparus, de nouvelles tailles, de nouvelles formes, etc.…

Je pense que de nouvelles matières feront aussi leur apparition dans les années à venir, comme des plastiques souples bourrés d’attractants et de phéromones recouvrant une âme en acier, pourquoi pas.

Si j’ai pris la peine d’écrire cet article détaillé, c’est aussi pour vous donner l’envie d’essayer ces leurres extraordinaires afin qu’ils retrouvent une place de choix dans votre boîte à pêche car leur meilleur avenir, c’est vous !

 

Jean Paul CHARLES

texte et photos de l’auteur

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