En quelques années une polémique ou un cas de conscience s’est malheureusement transformé en une chasse aux sorcières : la pêche du sandre en mai.
Il fut un temps ou personne ne se souciait de cela puis un jour quelques pêcheurs ont tiré la sonnette d’ alarme en disant : « Attention, en mai les sandres dans certains endroits sont en pleine reproduction et les mâles gardent les nids de façon très agressive ».
Il faut préciser que la reproduction du sandre a ceci de très particulier qu’elle occupe le mâle durant une certaine période s’étendant généralement sur deux à trois semaines d’avril à mai sur les endroits les plus froids. Cette reproduction peut même s’effectuer en août, ce qui accréditerait le fait que des jeunes sandres de taille radicalement différente sont découverts dans certains lacs de barrage assez froids. Il n’y aurait donc pas multiple reproduction mais ponte différée.
Le mâle va préparer un « nid », dépression d’environ 1 m de diamètre recouverte de débris de végétaux ou simplement construite dans le substrat. Ce nid pourra être situé à 1 m de fond, jusqu’à 3 m en moyenne. Le sandre va précédemment revêtir une livrée sombre et sera nommé charbonnier, cette livrée est due à une hausse hormonale qui le rends aussi très irascible. On retrouve aussi cette livrée sombre chez des sandres se tenant dans des zones d’ombres le reste de l’année.
Une fois sur son nid il attend l’arrivée de la femelle qui y déposera ses œufs que le mâle surveillera en moyenne 8 jours dans une eau à 14 ° avant éclosion et dispersion des alevins.
Tout ce qui va passer dans la zone à défendre du sandre sera attaqué, leurres comme autres sandres ou prédateurs. L’attaque est souvent très violente et les leurre attaqués sont littéralement coffrés. Néanmoins si le mâle défend son nid et l’aère, son absence ne serra pas automatiquement signe de la perte de la ponte. Tout dépendra de la maturité des œufs et de la présence/absence de prédateurs.
Afin de préserver cette reproduction que tout bon gestionnaire de pêche se doit de faire, différentes actions sont possibles. On peut retarder la date d’ouverture générale comme à Vouglans, interdire la pêche du sandre en mai par arrêté préfectoral, ou mettre en place des réserves de pêche sur les zones les plus favorables à la reproduction du sandre. Mais toutes ces solutions ne peuvent pas être mises en place partout et lorsque l’ouverture du brochet coïncide avec la période de reproduction du sandre il y a fort à craindre que les pêcheurs, même respecteux du poisson, même no kill ou autre tendance ne prennent par accident du sandre sur les nids !
Là où un fait peu honorable mais pas dramatique ne devrait pas avoir de conséquences, c’en est devenu tout autre. Une milice de la moralité halieutique s’est mise en place ces dernières années et traque les pêcheurs qui « osent » poster sur le net la photo d’un sandre pris en mai et arborant une livrée un peu sombre. Le pauvre pêcheur, souvent débutant et fier de sa prise se fait traiter de tous les noms sur la toile ce qui provoque deux réactions.
A ceux qui tendent la joue droite quand on leur met une claque sur la gauche, ils s’abstiendront de pêcher le sandre tout le printemps de peur de ne plus pouvoir vivre leur vie d’ avatar sur Facebook. Ils vivront en étant sûr que le sandre ne se reproduit qu’en mai et qu’il est ultra important de le sauver des méchants « viandards ». Quant à ceux qui ne tendent pas la joue et renvoient la baffe, ils continueront de pêcher comme ils l’ont toujours fait et comme la loi les y autorise et vomiront les moralistes pisciphiles.
Pourtant chez les pêcheurs de silures on ne trouve pas ce côté radical car on pêche le moustachu pendant sa reproduction. Chez les pêcheurs de perches non plus, pas plus que ceux d’aspes, de gardons ou de carpes. Pourquoi le sandre exacerbe-t-il autant les passions alors qu’à l’étranger on le pêche en pleine période de reproduction sans que cela n’influe sur sa densité ?
Personne ne se soucie de la perche qui chez moi n’a pas encore déposé ses rubans d’œufs sur les arbustes noyés, pourtant n’est-elle pas aussi respectable ?
Posons-nous juste la question : Est il plus condamnable de prendre sans le chercher un sandre sur un nid et de le relâcher (ou pas) ou de prendre une belle perche de 35 pleine d’œufs et de la garder (ou pas)?
Pour illustrer ce propos, remettons un peu à plat les choses. Imaginons que nous sommes le 1er mai et que l’ eau soit à 14 ° c, il s’agit d’une simple hypothèse de travail car il est peu courant que l’eau soit à cette température au 1er mai chez moi. Mme perche d’un kilo va pondre 200 000 œufs qui a cette température mettront environ 13 jours à éclore sans protection du mâle. Mme sandre d’un kilo aura pondu ou pondra elle aussi 200 000 œufs et à 14° il ne leur faudra en moyenne que 8 jours avant éclosion alors qu’ils seront défendus par le mâle durant cette période. On comprend donc que à nombre égal, les œufs de perches soient bien plus en danger que ceux du sandre. Si nous étions un tant soit peu logiques, c’est de la reproduction de la perche qu’il faudrait nous soucier, pourtant ce n’est que le sandre qui est la coqueluche des pêcheurs ! C’est un peu injuste.
Cette petite réflexion n’est là que pour vous faire réfléchir un peu, le sandre n’est pas en danger d’extinction alors ne soyez pas intégriste dans votre réflexion. Oui il faut favoriser sa reproduction et mettre en place des actions pour la faciliter, d’ailleurs les AAPPMA ont besoin de bras pour cela, mais ne laissons pas la parole aux outranciers, la pédagogie est une meilleure méthode.
En lacs de barrage, les sandres sur les nids vont cohabiter avec les brochets postés sur les bordures en attente de la fraye des blancs. Faudrait-il nous abstenir de pêcher les bordures alors que la pêche est légalement ouverte ?
Gardez la pêche
Données sur la reproduction : Les poissons d’eau douce de France, édition Biotope, 2011
Les commentaires sont fermés.