17 juillet 1987, mon premier silure (par Thomas Gary)

Esoxiste.com à le plaisir d’ accueillir Thomas Gary, pêcheur émérite de la région chalonnaise et précurseur de la pêche du silure.  Dans les lignes qui suivent, il nous narre la capture de son premier silure à Chalon-sur-Saône (71), un géant d’1.42m pour l’époque ! Un poisson qui fera de lui ce qu’il est devenu, un passionné, un guide, qui a traqué tous les carnassiers aux quatre coins de l’ hexagone.  voici son récit:

J’étais venu taquiner le carnassier au leurre le long des herbiers de la darse, un de mes coins favoris. J’y ai fait mes premières armes et beaucoup de gros poissons.

Le temps était à l’orage, brochets et sandres seraient peut-être de sortie. Muni d’une canne à lancer léger, flanquée d’un moulinet rempli d’un 24/100ème, ma boîte garnie de cuillères et de leurres souples, j’étais plutôt optimiste.

Arrivé sur le fameux « platis », j’ai la joie de retrouver mon ami Glodus- vieil habitué du site et pêcheur devant l’éternel- tranquillement assis à l’ombre d’un saule, fumaillant sa moitié de Gauloise.

Il essaie sans doute de tenter une carpe avec sa fameuse pâte de blé…

  • Ca mord?
  • « Oh ! Pas grand-chose, mais j’ai mes deux brèmes quand-même ! » répond-t-il avec un large sourire. « C’tantôt y est orageux, y devrait pas êt’e môvais » rajoute-t-il pour m’encourager.

Sans tarder, je déplie le matériel et choisis une cuillère argent numéro 4, histoire de provoquer un bec en mal de bagarre. Après quelques dizaines de lancers, je décide d’échanger ma “ferraille” contre une virgule en plastique blanc de 15 cm pour ajouter le sandre à mes adversaires potentiels.

Quelques minutes plus tard, tandis que le ciel se fait de plus en plus menaçant, je sors un petit sandre d’une quarantaine de centimètres. Remis à l’eau avec précaution, il est suivi peu de temps après par un second, dépassant largement les cinquante centimètres, sacrifié celui-ci pour l’assiette de mon gourmand de grand-père.

Le temps orageux a sans conteste fait réagir les sandres. Après d’autres tentatives infructueuses dans la même zone, je me décale d’une cinquantaine de mètres. Je suis en short dans l’eau jusqu’aux genoux, elle est au moins à 24 ou 25 degrés, nous sommes en plein mois de juillet, il fait lourd et des gouttes commencent à tomber. Vous savez, le genre de gouttes éparses mais tellement lourdes que l’impact en surface ressemble à celui d’un petit caillou qu’on jette à l’eau.

Quand soudain, un blocage me remonte dans le bras. Je ferre instantanément.

Les minutes qui vont suivre sont gravées à jamais dans ma mémoire…

Le poisson piqué me sort cinquante mètres de fil d’un coup, le frein est bien réglé. L’animal semble sûr de lui et prend le travers sur ma droite d’une nage lourde et puissante ; la canne souple est pliée jusqu’au moulinet, tandis que le nylon est à la limite de la rupture…

Deux hypothèses me viennent à l’esprit : je tiens le brochet de ma vie ou j’ai harponné une énorme carpe.

Les gouttes de sueurs ruissellent sur mon front, je suis concentré et décidé coûte que coûte à extirper le monstre de son élément. Les minutes défilent et les rushs de mon redoutable adversaire se multiplient. Je ne peux que faire durer le combat pour éviter la casse. C’est sans conteste le plus gros poisson de ma jeune existence et l’idée de rentrer chez mon grand-père avec un trophée pareil décuple ma motivation .J’essaie sans cesse de récupérer les mètres de fil arrachés au moulinet. Pour l’instant, c’est un sans faute, j’utilise mon matériel au maximum de ses possibilités…

Après de longues minutes d’opposition, le poisson montre les premiers signes de fatigue et je réussi progressivement  à lui faire gagner la rive, moins profonde. Mon ami Glodus m’a rejoint, une épuisette à la main, emmitouflé dans son ciré.

« Dis-donc, y’est du sérieux  c’que tu tiens mon  p’tiot ! » lance-t-il d’un air amusé.

« Je sais pas ce que c’est mais c’est énorme ! »

J’ai l’impression de lutter avec ce monstre depuis une éternité. J’ai peur pour le fil et n’ose pas imaginer la rupture…Je sais pertinemment que les derniers instants d’un bras de fer pareil sont les plus délicats pour le matériel. Je n’ai plus la longueur de bannière qui assure l’élasticité pour amortir les embardées du poisson, même si celui-ci semble affaibli par ce combat titanesque. Il faut absolument abréger la bagarre. C’est lui ou moi !

Tout d’un coup, j’aperçois mon adversaire sous la pellicule d’eau à quelques mètres de distance : il est long, très long et sombre ; ce n’est ni un sandre ni une carpe, peut-être le fameux brochet monstrueux dont rêve chaque disciple de Saint Pierre. Je l’ai seulement entrevu, impossible de l’identifier avec certitude. Une chose est sûre, il est gigantesque…

 

J’ai les jambes molles, je tremble comme une feuille et mon cœur bat à 300 à l’heure.

J’incline ma canne sur le côté en tirant vers moi pour déstabiliser la nage du poisson et lui faire prendre définitivement le chemin de la rive.

L’orage a redoublé et nous sommes, Glodus et moi, plantés les pieds dans l’eau comme deux inconscients sous une pluie battante, accompagnée d’éclairs et de coups de tonnerre, nous rappelant à chaque instant la situation extrême dans laquelle nous nous trouvons.

Soudain, à trois mètres de moi, la gueule du monstre crève la surface, béante et….. moustachue !!! Glodus jette alors son épuisette ridiculement petite en la circonstance et remonte le talus aussi vite que lui permettent ces 80 ans  en criant « un silure, un silure !!! »

Quant à moi, je reste muet, rien ne sort de ma bouche asséchée par tant d’émotion. A cet instant, le temps semble s’arrêter. Le trophée est là, sous mes yeux, magnifique… dépassant toutes mes espérances.

Les quatre pêcheurs qui nous observaient au sec depuis leurs voitures sortent d’un bond et l’un d’entre eux, équipé de cuissardes, entre dans l’eau et fait glisser fébrilement la bête sur le sable, nous laissant découvrir en entier ce géant de la Darse aux couleurs sombres et marbrées. A ce moment précis, je touche le bonheur du doigt – ou plutôt de la canne !- j’ai pulvérisé tous mes records et capturé le premier silure chalonnais… nous sommes en juillet 1987.

 

Je pense à mon grand-père, à son étonnement, à sa fierté, et au récit que je vais lui faire de cette aventure extraordinaire. Une sensation de bien-être immense m’envahit. La pluie et le fracas de l’orage ont cessé, comme par enchantement. De  chaudes  larmes coulent sur mon visage, c’est un des plus beaux moments de ma vie.

Ce jour là, ma passion est devenue obsession, et je n’ai de cesse de traquer ces géants si facétieux.

Ce silure mesurait un mètre quarante deux et pesait vingt deux kilos. J’ai sorti de l’eau plus de deux mille silures depuis, mais celui là reste mon meilleur souvenir. J’avais 17 ans…

 

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