Pêcher à la bonne profondeur en traîne est la clé de la réussite. Si la plupart des leurres se suffisent à eux-mêmes lorsque les fonds n’excèdent pas 3 mètres, il en va autrement lorsqu’il faut atteindre les zones zabyssales…
1. La plombée décalée.
Elle consiste à mettre un plomb après le leurre, celui-ci évoluant horizontalement à quelques mètres derrière lui. En apparence, rien de plus simple. Mais les lois de l’hydrodynamisme sont impitoyables, comme toutes les lois physiques. Au début, lorsque je voulais plomber mes lignes de traîne, j’utilisais des plombs olive allongés parce que c’était le genre d’âneries que l’on trouvait imprimées dans certains bouquins, comme celle-ci par exemple :
Résultat, le plomb se mettait en biais sous l’effet de la pression de l’eau, gênait la nage du leurre et faisait finalement remonter la ligne en surface quand on accélérait :
Si on n’utilise qu’un seul plomb, il faut le mettre en dérivation, et non pas l’enfiler directement sur la ligne. Le système le plus efficace dans ce cas est celui du triangle de traîne, où le bas de ligne forme un angle proche de 130° avec le corps de ligne, et où le leurre évolue naturellement à l’horizontale. Enfin en théorie… Il faut toutefois que la distance entre le plomb et le bateau soit raisonnable. Ce détail est essentiel, car plus cette distance sera grande, plus le ventre le sera à son tour. D’où la nécessité de réduire cette distance au maximum pour bien contrôler sa ligne, comme ci-dessous :
La forme du plomb a son importance aussi. La sphère est de loin la meilleure solution, puisque elle offre le meilleur rapport poids/volume, et son hydrodynamisme est l’un des plus performant, contrairement au plomb poire, banane, goutte d’eau ou je ne sais quoi encore. La plupart des poissons et des mammifères marins ont la forme d’une torpille : une tête massive et ronde et un corps effilé. Cette tête ronde sert à « ouvrir l’eau », principe qui a inspiré l’étrave en forme de bulbe des grands pétroliers. Sous l’eau, les principes de l’aérodynamisme ne sont plus valables, et la forme « fusée » ne donne pas de bons résultats. Seuls les nouveaux plombs disques utilisés pour le Downrigger sont peut-être meilleurs, à condition qu’il n’y ait pas de courant…
J’utilise des plombs avec émerillon, car il-y-a toujours d’inégales répartitions de masse au cours du moulage, le plomb se positionne ainsi tout seul de manière optimale, car un plomb déséquilibré peut entraîner des vibrations gênantes sur la ligne.
Pour ce qui est des grammages, la règle de 100gr pour 10m est valable en traîne à vitesse moyenne (5km/h). On pêchera donc avec 300gr de plomb pour 30m et 1 kg pour 100m. Mais comme je l’ai déjà dit, à l’exception des corégones et des ombles chevaliers, il n’y a guère de poissons en lac au-delà de 30m, et les lests d’1 kg et plus sont le domaine des pêches au treuil (plombier et Downrigger) que je n’évoquerai pas ici. Jusqu’à 200gr, les plombs » bombe » utilisés pour la carpe conviennent, mais au-delà il n’y-a-pas grand-chose de sphérique sur le marché… Je fabrique donc des moules en plâtre à partir d’empreinte de balles de ping-pong ou de cochonnets (oui, ceux de la pétanque !) qui me donnent des poids avoisinant les 300gr, faute de mieux. Je peins ces plombs en gris clair, question de discrétion, mais peut-être aurai-je plus de touches s’ils étaient peints en rouge, qui sait ? Question à creuser.
Revenons au triangle et à ses variations : son inconvénient est qu’il est généralement fixe, et que les derniers mètres doivent se remonter à la main, avec les risques que l’on devine. J’ai donc imaginé un système coulissant se bloquant facilement à l’endroit que l’on désire, et se débloquant tout aussi facilement en cas de prise. J’ai appelé ça le système du « cure-dent », vous allez comprendre pourquoi. C’est enfantin à réaliser. Vous n’avez besoin que de quelques tubes anti-tangle utilisés par nos amis carpistes, d’agrafes anglaise N°4 et de cure-dents comme en trouve dans les grandes surfaces par bottes de 100.
Il faut d’abord couper de petites sections de 2cm dans les tubes et les chauffer légèrement aux deux extrémités avec un briquet de manière à obtenir une collerette, puis clipser l’agrafe anglaise entre les deux. L’agrafe permet évidemment de changer rapidement de plombée suivant la profondeur à atteindre.
Il ne reste plus qu’à faire passer le fil, et positionner le tube où vous voulez sur la ligne, grâce au cure-dent. C’est pour cette raison que j’utilise du nylon, car il glisse moins que la tresse avec ce système. C’est solide, ça n’abime pas la ligne et quand le plomb arrive près du scion de votre canne, il suffit d’enlever le cure-dent entre le pouce et l’index pour le faire repartir jusqu’au bas de ligne. Vous pourrez ainsi combattre le poisson jusqu’au bout sans être gêné par la plombée.
Reste à déterminer la longueur entre le plomb et le leurre, objet d’âpres discussions entre spécialistes. Personnellement, je pêche plutôt court (- de 3m) mais rien ne vous empêche d’allonger le tir… En fait, cela dépend des conditions de pêche, comme nous allons le voir. Rappelez-vous que plus vous voulez pêcher loin du bateau, plus vous devez allonger votre bas de ligne, et non pas votre ligne mère.
Plusieurs cas de figure s’offrent à nous au cours d’une partie de pêche, mais il faut toujours avoir à l’esprit l’image du compas : La pointe, c’est le leurre, le crayon, c’est votre bateau. Plus le leurre est éloigné du bateau, et moins il est sensible à ses évolutions. Pour que votre leurre obéisse au doigt et à l’œil à chaque coup de volant ou de barre franche, il faudrait qu’il soit situé pile-poil sous le moteur, ce qui n’est jamais le cas bien sûr. Les virages que vous effectuerez au cours de votre navigation ne feront que ralentir ou accélérer votre leurre, mais ne le feront pas changer de direction, ou alors imperceptiblement. Et si vous effectuez un virage à 180°, votre leurre restera parfaitement immobile !
Voilà pourquoi, lorsque je traîne près du bord, j’essaye de placer ma plombée le plus possible à la verticale de la canne, quitte à augmenter le poids, et que je tiens mes leurres en laisse assez courte, pour qu’ils réagissent rapidement aux impulsions du bateau. C’est vital pour éviter rapidement les obstacles que l’on voit (ou pas !) au dernier moment, notamment les arbres immergés.
N’oubliez pas non plus que vous avez droit à deux cannes, donc plutôt que de ratisser large à la même profondeur, il vaut mieux essayer de pêcher à deux niveaux différents. Ex : un poisson nageur sans plombée à 3/4 m de profondeur et à 20 m du bateau et un leurre souple à 15 m de profondeur et à 10m du bateau, tout en changeant régulièrement de leurre. Il faut de toute façon souvent remonter les lignes pour vérifier l’état des leurres, une algue ou un bout de plastique pouvant les rendre inopérants sans que vous ne vous en doutiez. Faites attention, il est fréquent d’avoir une touche à ce moment-là !
En pleine eau et au large, on peut allonger un peu la bride, mais ne pas dépasser les 30 m de ligne sortie, avec 5 m maxi entre le leurre et le plomb, ne serait-ce que pour ne pas s’emmêler avec les autres pêcheurs !
2 La plombée terminale
Une autre manière plus naturelle consiste à placer le plomb à l’extrémité de la ligne mère et de fixer des empiles au-dessus, comme on le fait pour la pêche au plombier. Cette méthode a l’avantage de pouvoir pêcher plus près du fond que la première sans trop s’accrocher, surtout si vous fixez le plomb à l’aide d’un brin cassant. La présentation est peut-être moins discrète, mais c’est efficace quand on veut vraiment raser le fond. C’est un peu une sorte de dropshot musclé ! On peut bien sûr pêcher en pleine eau, surtout quand on veut positionner plusieurs leurres sur la ligne (deux dans mon cas). C’est donc le montage idéal pour pêcher à l’ondulante légère.
Pour positionner mes leurres, je garde le système du cure-dent, avec empiles espacées de 3 m comme dans le schéma ci-dessous.
Ces empiles (toujours en acier !) seront plus fines que dans la première méthode : 5 kg en moyenne, et un peu plus courtes (50cm). Par précaution je mets un morceau de cure-dent à chaque extrémité du tube, afin qu’il ne glisse pas à la touche. On peut préférer un montage fixe avec nœuds ou émerillons pater-noster, mais franchement, quand vous aurez utilisé mon système, vous conviendrez qu’il est le plus simple et le plus pratique !
J’ai cité l’ondulante, mais on peut aussi monter des poissons nageurs et des leurres souples de taille moyenne (10cm). Si vous prenez des leurres plus gros ou qui tirent trop fort, vous serez obligé de mettre beaucoup plus de poids en bas (plus de 500gr), ce qui nuit à la discrétion. On s’attaque donc à des poissons plus petits mais les grosses surprises peuvent arriver, donc n’oubliez pas de régler très soigneusement votre frein.
Il existe bien sûr d’autres systèmes de plombée dont je reparlerai à l’occasion, mais je tiens avant tout à privilégier la simplicité, l’expérience prouve que c’est ce qui fonctionne le mieux.
3. Mener sa barque…
La vitesse de traîne en lac doit être assez faible, autour de 3 à 5km/h, c’est-à-dire la vitesse d’un promeneur à pied. Marquer des arrêts fréquents, puis des redémarrages est toujours bénéfique, mais à ce petit jeu vous allez user rapidement votre batterie, surtout si votre moteur n’est pas muni d’un variateur électronique. Il vaut donc mieux faire quelques virages, ou freiner légèrement la barque à l’aviron de manière irrégulière. Notez que certains pêcheurs ne pêchent qu’à l’aviron, ce qui donne un rythme très aguichant pour le poisson, à condition bien sûr d’être d’avoir des biceps en acier trempé !
La pêche à la traîne n’est pas une pêche statique : vous pouvez aussi tenir la canne à la main et donner des coups de scion pour animer le leurre de temps à autre, comme vous le feriez au lancer, c’est souvent payant. Parfois, cela ressemble à une dérive continue. La frontière entre pêche à la traîne et dérive « dynamique » est floue…
Si la météo le permet, j’irai mettre tout ça en pratique le 20 avril, en essayant d’appliquer sur l’eau ce qui marche si bien dans mon salon… Le tout en image bien sûr ! J’aurai une vingtaine de leurres nouveaux à tester, plus quelques bidules et autres gadgets, je vais jurer, vociférer, trépigner, engueuler mon coéquipier, engueuler les autres pêcheurs, emmêler mes lignes, accrocher mes leurres, rater les touches, prendre le ciel à témoins que je suis entouré d’imbéciles, et peut-être, avec un peu de bol, réussir à sortir quelques poissons coopératifs ! Tiens, ça me rappelle quelqu’un…
Texte, photos et dessins : Jean-Paul Charles
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