Il y a de cela pas très longtemps encore, tout pêcheur qui se mettait au leurre avait un bagage technique de plusieurs saisons au vif derrière lui. Puis tout a changé, désormais on pêche au leurre en démarrant la pêche et peu de jeunes connaissent les techniques du vif.
Ringardisé par une frange de pêcheurs aux idées courtes ou de vendeurs de leurres, la technique du vif n’en reste pas moins passionnante, efficace et techniquement pointue. On ne pêche pas au vif le brochet comme le sandre, l’ été comme l’hiver, en plombée comme au bouchon par exemple.
Heureusement il reste quelques sages pêcheurs qui savent que rien n’oppose le leurre ou le vif, si ce n’est une frange qui croie que le vif à plus mal avec un triple piqué sur le dos qu’un brochet avec un triple piqué dans la gueule
Je voudrais rendre un hommage appuyé aux pêcheurs de silures qui sont bien plus honnêtes dans leur démarche. Ce sont des pêcheurs qui pratiquent avec bonheur l’une ou l’ autre technique sans en ringardiser aucune, sans en placer une au-dessus de l’autre niveau éthique ou moral.
La saison du brochet est finie, certains vont s’essayer au sandre au ver (pas « manié » parce que c’est interdit mais « ramené ») sans pour autant avoir conscience que cette pêche se rapproche plus de celle du vif que de celle aux leurres.
La pêche aux vifs a eu son heure de gloire dans les années 70/80, elle avait ce très gros avantage de faire des pêcheurs statiques qui se parlaient entre eux, se saluaient, bougonnaient souvent parce que la meilleure place était prise mais tout cela faisait d’eux des contemplatifs. Désormais il faudrait presque courir pour être dans le coup !
Cette pêche au vif était le cadre de somptueux casse-croûte, de feux de camps hivernaux, de siestes après l’apéro, de discussions acharnées en attendant un hypothétique départ. Et lorsqu’il avait lieu, cette grande canne vous arrachait les bras, le frein hurlait et les copains se démenaient pour épuiser le poisson.
En barque on sortait de sa farniente pour démêler les lignes dont les vifs ne pensaient qu’à vous pourrir la journée en faisant de beaux nœuds entre eux. On levait les poids, baissait les poids, on attendait l’œil scruté sur le bouchon qui frémissait, le regard s’égarait vers la brume matinale et l’ esprit se fondait totalement dans cette nature sauvage.
Je regrette souvent cette époque où la prise d’un poisson était considérée comme un cadeau des dieux et non comme la conjugaison de l’effet de rolling et de wobbling du super leurre machin bidule. On allait moins à la pêche, pas parce qu’on le voulait mais parce que ça relevait de l’ expédition. Il fallait trimballer une housse remplie de 4 cannes pas franchement légères, 4 gros moulinets, une caisse siège, un parasol et surtout le gros seau à vif avec la crainte de les voir trépasser avant d’arriver sur le poste. A pied on arrivait sur le poste éloigné du parking en nage même en hiver, les épaules et le dos sciés par les sangles, en bateau tout ce fourbi vous empêchait de bouger et on se talait le cul sur des bancs de bois.
Ce n’est qu’une fois tout installé après une bonne demi-heure de boulot à monter et positionner les cannes qu’on pouvait enfin s’asseoir, sortir le thermos et boire un café toujours trop chaud qui vous brûlait les lèvres. On voyait poindre le jour parce qu’on prenait le temps de le regarder, désormais c’est : je lance, je relance….oh tiens, il est déjà 11h00 !
La technique a changé en vingt ans, le vif moderne a emprunté ce qu’il y a de meilleur à la pêche de la carpe, à la pêche du feeder, à la pêche en surf casting pour en faire un mix et en tirer le meilleur parti. Si on peut encore utiliser le matériel d’avant on pourra aussi se faire plaisir avec des cannes feeder puissantes, ou des anglaises (match) puissantes pour propulser nos lignes au bon endroit. Les armements de vifs modernes et les nouveaux fils vont permettre une finesse encore jamais atteinte, on ferrera à la touche et le carnassier sera piqué au bord des lèvres. En bateau on ressentira la frayeur du vif sur son fire ball juste avant l’attaque du carnassier. A la tirette, on piquera des poissons qui ne mordaient plus aux leurres, trop blasés de voir défiler ces plastiques multicolores.
Dernièrement sur Facebook, un président d’ AAPPMA a publié un petit film où l’on voyait un « ancien » piquer un brochet au vif. Cet ancien, je le connais, c’est un ami depuis de nombreuses années. C’est un passionné de pêche qui n’a plus les genoux en bon état et qui ne peut pratiquer que la pêche au posé. Et bien évidemment, un jeune a laissé un commentaire désobligeant, hypothéquant que notre ancien allait garder le poisson…C’est bien mal connaître mon ami Marcel qui dans la vidéo suivante remettait le brochet à l’eau ! Comme quoi la pêche au vif a encore un long chemin à parcourir pour qu’elle retrouve sa place comme technique aussi noble que toutes les autres et qu’elle ne subisse plus les railleries des pseudo-sportifs.
J’aurai l’occasion au fil des mois de revenir sur des montages vifs ou des approches modernes de cette technique qui n’est ni ringarde ni l’ apanage des amateurs de brochet à la mayonnaise. La pêche des carnassiers est un tout, vif et leurre peuvent cohabiter comme par le passé au plus grand bénéfice du pêcheur.
Gardez la pêche.
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