Pêche au pigeon : les techniques qui marchent !

 

 

J’adore les nouveautés et le beau matériel mais depuis quelque temps et suite à l’article de Sylvain « Copie de leurres, le vrai du faux » l’envie m’est grande d’assener une ou deux vérités qui fâchent, ou qui font sourire dans le meilleur des cas, au sujet du business pêche actuel et de ses petites et grandes arnaques.

J’ai 48 ans. J’ai commencé à pêcher au lancer en 1980 (et aux appâts bien avant…), cela fait donc plus de 33 ans que je vois passer une cohorte de leurre, de cannes, de fils et de moulinets chaque année plus nombreuse, sans parler des techniques et des accessoires à la mode le temps d’une saison. Je sais donc de quoi je parle, et malgré mes cheveux gris j’ai encore l’œil vif et surtout j’ai la mémoire longue, très longue, la preuve…

 Il y a trente ans, au niveau des leurres, on avait le choix entre ça :

Ou ça :

Ces deux pages extraites d’un catalogue de Manufrance de 1979 résument assez bien la maigreur du choix de l’époque. Les leurres, c’était surtout des cuillères tournantes, deux ou trois poissons nageurs, un proto-leurre souple, et quelques improbables imitations d’insectes et de batraciens ! Vous remarquerez au passage les prix en franc qui, bien que majorés d’inflation, restent en-dessous des prix actuels. L’Euro est passé par là entre temps…

Question moulinets, ce n’était guère mieux : du Mitchell et encore du Mitchell, made in France of course, et rien d’autre. Abu Garcia, Penn et les autres, c’était une sorte de mirage lointain dont certains auteurs mentionnaient l’existence dans des revues pointues. Les premiers Daïwa avaient alors une réputation de « camelote » plus ou moins justifiée et Shimano était totalement inconnu.

C’était la préhistoire et ceux qui pêchaient aux leurres étaient de toute façon traités de snobs, de « parisiens » et faisaient le plus souvent la risée des « vrais pêcheurs » (au vif).

1979 est une date clé finalement, c’est à partir de ce moment que la pêche en France a commencé à sortir de sa torpeur, essentiellement sous l’impulsion d’Henri Limouzin, infatigable vulgarisateur qui comprenait bien le retard qu’avait pris notre pays vis-à-vis des Anglo-saxons dont il pratiquait couramment la langue, ce qui lui ouvrait de nouveaux horizons ainsi qu’à ses lecteurs. Si le mort-manié fut un temps notre réponse aux techniques d’outre atlantique, le raz de marée des leurres souples et des poissons nageurs était sur le point de déferler sur l’hexagone, et Limouzin et quelques autres furent les premiers à en saisir l’importance. Ils avaient déjà « l’esprit leurre »…avant l’heure ! La pêche des carnassiers allait prendre son essor, et devenir une spécialité à part entière.

 Si je vous parle de tout ça (surtout à vous, les Djeun’s !), c’est pour vous faire comprendre qu’on est passé de presque rien à beaucoup trop en un claquement de doigt, et qu’au passage certaines pratiques commerciales se sont développées et ont fait souche, au point qu’on ne songe même plus à les remettre en question. Nous sommes désormais pris dans une sorte de moule consumériste qui fait de nous de biens souples leurrés ! Il suffit pourtant de se servir de son cerveau et d’une calculette pour se rendre compte à quel point on nous pigeonne…

 Je commence par la plus commune et peut-être la plus subtile de ces petites escroqueries quotidienne, qui, sous son aspect de logique apparente, consiste à nous faire croire qu’un produit manufacturé se vend de la même façon qu’une matière première, c’est-à-dire au poids…. C’est vraiment flagrant avec les moulinets dont le prix va croissant en fonction de la taille, surtout si la gamme comprend une dizaine de modèles. La progression est actuellement d’environ 10 € par palier supérieur dans le meilleur des cas, ce qui ne correspond bien entendu à rien de concret économiquement parlant. Il est évident que le poids du plastique et du métal qui compose un moulinet n’entre qu’en très faible compte dans le coût final du produit. Ce qui coûte cher, c’est l’usinage, l’assemblage, et surtout les frais de publicité. On voit donc mal pourquoi on payerait plus cher un modèle 5000 qu’un modèle 1000, mais la plupart des gens l’acceptent, car « c’est normal » selon la logique du « plus c’est gros plus c’est cher ». Idem pour les cannes : payer parfois 30 €  la dizaine de centimètre supplémentaire est absurde, mais cela nous semble parfaitement logique. On m’objectera que les anneaux sics coûtent cher…Pour un particulier qui les paye à l’unité oui, mais pas pour un industriel qui les négocie à la tonne !

Le cas des leurres souples dans ce domaine est particulièrement intéressant. Les écarts de prix entre les différentes tailles (et marques) d’un leurre confinent au surréalisme, surtout quand on connait le prix dérisoire de la matière première utilisée. La conception et l’usinage des moules en aluminium, ainsi que la fabrication, le conditionnement et la vente ont un coût bien réel, mais qui ne justifie pas qu’on puisse enregistrer de tels écarts au sein d’une même gamme de leurre. Encore plus sournois, et pour enfoncer l’hameçon si j’ose dire, beaucoup de leurres souples sont actuellement vendus « au kilo », pour aggraver encore la confusion des esprits.

Au kilo oui, mais pas au poids ! La différence est de taille : Le gain pour l’acheteur est bien faible comparé au prix unitaire, mais ça permet d’écouler les stocks ! Dans l’absolu, le même leurre devrait coûter le même prix quel que soit sa taille, sauf les cuillères en or massif bien entendu.

Parlons-en des cuillères…J’aime particulièrement les ondulantes, je les utilise depuis 30 ans avec bonheur, je peux donc en parler avec une certaine assurance. La première réflexion qui me vient à l’esprit est qu’un modèle existant depuis plus de 50 ans – dont les coûts initiaux d’investissement et de développement ont été depuis belle lurette amortis- puisse coûter toujours aussi cher est tout bonnement scandaleux. Idem pour les tournantes. On voit mal au nom de quoi une Aglia N°2 coûte 50 cents de plus chaque année… Heureusement, il y a les nouveautés, comme par exemple l’année dernière la presque totalité de la gamme Rublex, ressuscitée comme par miracle! Rublex, une nouveauté !! On croit rêver ! Vos grands-pères pêchaient déjà avec que vous n’étiez pas nés !

Cette cuillère vaut de l’or!

 Question prix toujours, on pourrait parler aussi des toutes nouvelles Tackle House (ci-dessus). Elles n’ont absolument rien de particulier (forme ultra classique et couleurs standard) mais elles coûtent cher, très cher. Pas moins de 9,80 e le petit modèle de 3 gr, ce qui nous porte donc le gramme à 3,26 €, pas loin de la truffe et du caviar (OK, j’exagère un peu mais quand même)…

 On peut noter également une baisse de la qualité dû aux matériaux employés pour leur fabrication. Les bonnes cuillères ondulantes sont en laiton, métal très faiblement oxydable (alliage de cuivre et de zinc). Une Effzet (DAM) de 60gr perdue au fond d’un lac sera probablement retrouvée presque intacte dans mille ans par les archéologues du futur, à condition qu’il y en ait… Or la plupart des cuillères chinoises low-cost actuelles sont faites d’un mauvais acier, il suffit d’approcher un aimant pour s’en persuader. Le test de l’aimant est impitoyable ! Ces cuillères rouillent donc très vite, et l’alliage d’acier utilisé étant moins dense que le laiton, cela oblige à épaissir leurs palettes à taille égale, ce qui fait que leur nage est moins bonne, de mon point de vue.

 Quant aux poissons nageurs, il devient difficile de s’y retrouver, même pour les spécialistes, tellement les modèles se ressemblent et se copient entre eux, sylvain en a parlé fort justement dans son article.

La stratégie actuelle en matière d’escroquerie légale pour les fabricants est de proposer des modèles identiques vendus sous des marques différentes par les fournisseurs, avec un léger changement de cosmétique pour donner le change.

Exemple type : ce crankbait que l’on retrouve sous trois marques avec des variations de prix non justifiées. Je les ai acheté tous les trois, ils sont parfaitement identiques, je suis formel :

volkien

River 2 sea

Autain

Mon conseil: Achetez le moins cher!

 

Je voulais passer rapidement sur les nylons et les tresses aux diamètres approximatifs et aux résistances bidon- un grand classique- mais j’ai été assez estomaqué de recevoir (certains d’entre vous aussi j’en suis sûr) en début d’année dans ma boîte mail cette une publi-information de l’EFTTA qui mérite qu’on s’y attarde un poil. Le titre est sans équivoque : Ne soyez plus victimes de la grande arnaque des nylons ! Une soi-disant charte qui protègerait le pauvre consommateur des arnaques des vilains fabricants sur les diamètres et les résistances grâce à des tests objectifs réalisés par des laborantins incorruptibles. Le problème est que cette charte est signée par la quasi-totalité des plus grands arnaqueurs eux-mêmes, comme Zebco ou Berkley ! Je ne parle pas de la qualité intrinsèque de ces fils, mais de la faculté que ces fabricants ont de gonfler ridiculement les chiffres diamètre/résistance. Heureusement, des marques sérieuses, et non des moindres, sont absentes de la liste (sous-entendu : ce sont donc elles les arnaqueuses…). Elles ont dû refuser de signer cette fumisterie, et je les comprends. Quand on est juge et partie, on s’abstient de se lancer dans une telle entreprise de mystification,  dont les ficelles sont d’un diamètre et d’une résistance Hénorme ! Mais selon le vieil adage politicien « Plus c’est gros, et mieux ça passe », on peut se le permettre…

Ha!Ha!Ha!

Je gardais le meilleur pour la fin : les moulinets travestis. Régulièrement, ils reviennent sous un nouveau nom, avec une nouvelle cosmétique, et…de nouveaux prix.

 Récemment, le « nouveau » DAM Quick Royal avait attiré mon attention par son aspect vaguement familier. Voyons, voyons, à qui me faisait-il penser ? Bon sang ! Mais c’est bien sûr ! comme le disait Raymond Souplex. (Non les Djeun’s, ce n’est pas l’inventeur du leurre souple…) Il s’agit du fameux Canyon Spinning, moulinet Chinois costaud mais assez basique que l’on peut trouver pour 80 $ en cherchant bien, et qu’on nous revend couramment 250 €. Heureusement il y a moins cher, vous pouvez acheter le Hart Custom Z, sauf que c’est exactement le même (à l’intérieur), décliné avec une cosmétique différente. C’est habilement fait, mais on peut les reconnaître infailliblement au côté droit  du bâti, qui arbore un renflement circulaire sous l’axe de la manivelle, doté d’une vis:

DAM

HART

Mis à part les enjoliveurs, c’est la même mécanique à l’intérieur…

Ces deux moulinets ont les mêmes pignons, la même roue de commande, le même axe, le même frein, le même anti-retour, le même pick-up, le même galet, etc… Seule change la couleur, la forme de la manivelle ou de la bobine, plus rarement du bâti. Il y a tromperie sur la marchandise, puisqu’ils sont présentés comme deux modèles différents vendus à des prix eux-aussi différents. Que quelqu’un me prouve le contraire s’il l’ose…

 Le Canyon n’est pas fondamentalement un mauvais moulinet si vous vous en servez un mois par an, mais il ne vaut sûrement pas le prix qu’il coûte, surtout si vous pensiez acheter un Saltigua low-cost.  Et c’est un tout petit peu se foutre de la gueule des gens que de vendre, sur une même page, deux moulinets identiques à des prix différents.

Il y a mieux, un cas d’école pourrait-on dire,  avec le fameux Ryoby Carnelian qui est un vrai transformiste (à ne pas confondre avec le Ryobi Safari, moulinet correct, quoiqu’un peu dépassé) … On le trouve dans toutes les couleurs, sous diverses appellations, sous divers déguisements, jugez plutôt :

Son dernier avatar : Le Cormoran Big Cat Giant X

Le Grauvell Molokoï

Une version bleue…

Une version noire…

Une version vaguement Shimanienne…

 

 De l’avis de tous, ce moulinet est très mauvais (voir le compte rendu d’Alan Hawk à son sujet) et vendu à un prix outrageusement élevé.

 La nouvelle stratégie des fabricants chinois est donc de proposer aux distributeurs une foule d’options décoratives pour un corps identique, afin de mieux noyer le poisson. C’est légal, mais pas franchement honnête surtout de la part des distributeurs qui mentent par omission à leurs clients en ne précisant pas l’origine commune de ces moulinets.

 Cette petite liste n’est évidemment pas exhaustive, je suis sûr qu’en cherchant bien on trouverait d’autres produits pour le moins suspects. Si je vous ai parlé de ceux-là, c’est qu’ils ont pignon sur rue…En conclusion, il nous faudra donc à l’avenir être plus vigilants, et surtout faire comprendre aux distributeurs –principaux fautifs dans l’histoire- que nous ne sommes pas dupes de leurs petites magouilles, et exiger une traçabilité plus claire de leurs produits, au même titre que n’importe quel autre produit de consommation. Tout cela n’est pas très grave me direz-vous. Peut-être, mais si personne n’en parle, les dérives seront de plus en plus nombreuses et informer les lecteurs, surtout les pêcheurs débutants, me semble légitime, quitte à passer pour un râleur professionnel !

 

Tâchons de garder la pêche, même en eau trouble !

Jean-Paul Charles

Photos personnelles et celles du Web…

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