Rémy Picard: « Toutes les pêches des carnassiers »

Ce mois ci un petit bouquin déjà ancien (1993), qui m’a toujours beaucoup plu : « toutes les pêches des carnassiers », de Rémy picard.

 

Avec le temps, les livres sur la pêche ne m’apprennent presque plus rien, techniquement parlant. Non pas que j’ai la science infuse, mais disons que plus de 30 années de pêche m’en ont appris suffisamment pour ne pas m’extasier sur n’importe quoi ou n’importe qui.

Désormais, c’est d’avantage le parcours personnel d’un auteur et son style qui m’intéresse, sa façon de d’envisager la pêche en quelque sorte, plutôt que les recettes de derrière les fagots ou la dernière mode en matière de leurre.

Rémy Picard fait partie de ces pêcheurs un peu à part, à la personnalité attachante, qui ont une façon bien à eux d’aborder notre loisir préféré.

Si l’ouvrage (au titre tristement marketing, sans doute voulu par l’éditeur) semble logique de prime abord avec ses chapitres sur les différents poissons carnassiers, il louvoie rapidement pour prendre l’allure d’une rivière en crue, chaque sujet étant prétexte à débordement ! Ce bouquin, avec ses anticipations et ses retours en arrières, ses accélérations et ses ralentissements, reste captivant de bout en bout.

On y trouve pêle-mêle des souvenirs d’enfance, des détails techniques pointus, des considérations sur la météo, la lune, et puis encore des anecdotes, des remarques philosophiques, des coups de gueules, des éclats de rire, bref, tout ce qui fait la vie d’un pêcheur authentique. Petit à petit, le portrait de l’homme se dessine en filigrane derrière celui du pêcheur, et l’on devine que sa passion l’a emmené très loin. Bien entendu on s’instruit au passage sur une foule de sujets. C’est un peu grâce à lui que je me suis mis à la cuillère ondulante, après avoir beaucoup pratiqué au vif et au poisson nageur. Il m’a donné l’envie d’essayer. Il en parle en connaisseur, tout en nous livrant de nombreuses anecdotes qui pimentent ses récits, comme celle-ci :

« (…) Le dernier grand brochet que j’ai piqué à l’ondulante m’a réellement impressionné. Il ne décollait pas, bougeait à peine à quelques mètres de moi, puis, toujours sur le fond, il se mit à secouer sa gueule comme le fond les gros sandres, il vomissait un barbeau blême et semi-digéré de 250g. Dans l’eau translucide de l’hiver, cet étonnant poisson mort passait en douces volutes des abysses à la surface comme une feuille morte tombe d’un arbre ; un deuxième barbeau vint le rejoindre, trois, puis quatre. Quel était donc ce monstre capable d’ingérer de telles quantités de nourriture, je n’en ai rien su ; à force de secouer la gueule, il s’est décroché, mais peut-être avait-il d’autres poissons dans l’estomac ? »

Ou cette autre :

« (…) Le second (brochet), en lac, et encore plus grand, m’a donné une belle touche solide, comme tous les plus d’un mètre. J’étais heureux, et puis le fil s’est dévidé, frein du moulinet peut-être un peu trop desserré, toujours en avant, et scion courbé vers la grande profondeur, impressionnant ; il ne connaissait pas les paliers de décompression. A trois kilomètres de ma tente et à vingt du premier marchand de nylon, je suis resté pantois avec un bout de laine pendouillant du moulinet. Scion plié en deux, je l’avais laissé faire. Serrer, c’était casser, mais qui était-il celui-là pour traîner cent mètres de fil derrière lui ? »

Sa façon d’aborder un sujet est toujours personnelle. Le début du chapitre sur la perche est typique de ce style bien marqué :

« Je hais les peupliers, ces rangées trop uniformes plantées par l’homme, qui annoncent prématurément chaque automne la reprise du travail et la rentrée scolaire. Dès le début de septembre, même lorsque la bise est absente, leurs feuilles vernissées tombent une à une, inéluctablement, et semblent ne pas vouloir se fondre à la nature. Pourtant, ce sont ces arbres mal aimés qui m’indiquent annuellement, en se teintant de brun et d’or, l’instant où les perches de plus d’une demi-livre se sont regroupées. »

Et de nous narrer par la suite les subtilités de la traque des belles zébrées…

Nos principaux carnassiers sont donc passés en revue dans un sympathique désordre, avec pour chacun une foule de détails et de réflexions originales.

Le brochet et le sandre sont bien entendu les sujets principaux, avec un type de pêche plutôt axée sur les appâts naturels, mais d’une grande subtilité. La perche et le black-bass sont également bien détaillés, ainsi que de plus humbles voraces, comme la grémille, la perche soleil et le poisson-chat.

Si le passage sur le silure est assez mince puisqu’il ne faisait que montrer le bout de ses moustaches à l’époque (début des années 90), une partie intéressante sur l’anguille, grande oubliée des pêcheurs actuels, nous rappelle qu’elle est également un poisson carnassier.

Rémy Picard nous donne aussi son point de vue sur les carrières noyées et les ballastières, et comment les pêcher efficacement (il a travaillé comme carrier, il sait de quoi il parle…).

A ma connaissance, il n’a écrit que ce livre, mais si vous le trouvez n’hésitez pas, achetez-le. Comme je le disais en préambule, n’y cherchez pas des révélations inédites ou des techniques « hype », vous n’en trouverez pas.  Vous trouverez simplement le bonheur de suivre les pas d’un pêcheur chevronné, et le plaisir d’une écriture libre et fraîche comme un ruisseau de montagne. C’est assurément très rare et on ne s’en lasse pas…

 

 

Jean-Paul Charles

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