Les plantes invasives colonisent les milieux naturels et menacent la biodiversité.
Nos plans d’eau et rivières sont une cible privilégiée pour cette végétation que rien ne semble pouvoir faire reculer.
Malgré des campagnes d’arrachage, la repousse reprend de plus belle, et les moyens de traitement semblent bien dérisioires.
On trouve le plus souvent plusieurs grands types de végétation dans un plan d’eau :
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Des plantes immergées avec enracinement (nénuphars, roseaux, potamots, élodées, myriophylles …)
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Des plantes « flottantes » (lentilles d’eau, …)
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Des algues, groupe d’organismes vivants très particulier et très diversifié.
Algue filandreuse flottant à Madine. Par définition, la plupart des algues n’ont ni racine, ni feuille, ni tige …
En mai 2018, j’avais publié un article qui s’intitulait : « le traitement des plantes invasives par allélopathie ».
Le lac de Madine était (et est toujours) en proie à la prolifération d’élodées, et des essais étaient à l’étude avec ce nouveau procédé, afin de tenter de limiter l’expansion de ces herbes.
La nature n’est pas un monde de bisounours comme certains aiment à le croire, mais un combat impitoyable de tous les instants pour la survie, et les plantes ne font pas exception de ce fait.
Les plantes invasives arrivent par vagues. La nouvelle venue, mieux adaptée à l’évolution du biotope, supplante la plante précédente, sans pour autant l’éradiquer. Il en résulte un mélange peu ou prou dominé par la nouvelle végétation, encore plus invasive, et qui bien souvent étend son territoire au-delà des frontières précédentes.
A noter que l’implantation de la plupart de ces plantes invasives est issu en grande majorité de la libération plus ou moins accidentelle de plantes d’aquarium dans le milieu naturel.
Puis la dissémination se fait grâce aux activités humaines, le plus souvent liées à la navigation.
La pêche, avec nos bateaux, en est un vecteur attesté, et il faudrait veiller à bien nettoyer la coque et la remorque de nos embarcations avant de changer de plan d’eau, si l’on souhaite limiter cette dissémination.
Lorsque j’ai commencé à pêcher le lac de Madine en 2006, on y trouvait principalement des potamots et quelques nénuphars au sud.
Potamot crépu du lac de Madine
Puis l’élodée du Canada (souvent nommée « peste des eaux ») a commencé sa lente conquête de territoire.
Elle fut ensuite progressivement supplantée par l’élodée de Nuttall, plus apte à s’adapter à la modification du biotope (envasement, plus forte concentration en nutriments azotés et phosphorés).
L’élodée de Nuttall peut s’enraciner jusqu’à 3,00 mètres de profondeur, et cette plante a commencé à devenir une gène pour la pratique de la voile.
L’infestation par cette végétation invasive s’est alors subitement accélérée, comme suite aux campagnes de faucardage menées par les gestionnaires du lac.
L‘élodée se développant très rapidement par bouturage, les nombreux fragments disséminés n’ont fait qu’empirer la situation.
Elodée de Nuttall
En 2018, Monsieur Pihan, le scientifique à l’origine de la mise au point du traitement par allélopathie, nous avait prévenu, lors d’une réunion d’information : « Au vu de l’évolution du lac de Madine et de son envasement progressif, le myriophylle prendra le dessus, un jour ou l’autre ».
Et à Madine, la prédiction de Monsieur Pihan est en cours d’accomplissement.
Pour rappel :
La finalité de tout plan d’eau est de s’envaser. Cet envasement est principalement du à la sédimentation des déchets organiques liés à la décomposition des plantes aquatiques. C’est un processus très (vraiment très) long, qui transformera progressivement le plan d’eau en marécage, puis, à terme, en tourbière.
Cette sédimentation provoque de substantielles évolutions dans le substrat, et les végétaux doivent constamment s’adapter (sans compter les apports en nutriments azotés et phosphorés apportés par le ruissellement des eaux du bassin versant, très liés à l’agriculture).
On trouve dans ma région de nombreux canaux qui sont désormais totalement envahis par le myriophylle hétérophylle, rendant la navigation et les manœuvres d’écluses quasiment impossible en été. Le coût d’arrachage de ces plantes est faramineux, pour un résultat qui n’est pas pérenne.
Ce myriophylle est une espèce différente de celle que j’ai pu voir à Madine.
D’après les morceaux de plante que j’ai pu ramasser à Madine, le myriophylle à épis (Myriophyllum spicatum Linné) semble avoir largement pris ces aises sur le lac, particulièrement dans les anses.
Myriophylle à épis ramassé par mes soins sur le lac de Madine
Le myriophylle à épis est une plante herbacée aquatique vivace qui vit submergée, et dont le principal mode de reproduction et de propagation est la fragmentation végétative.
Il s’adapte à une grande variété de conditions environnementales.
Il se développe dans des eaux calmes ou agitées, claires ou troubles, acides ou basiques, et peut tolérer de faibles concentrations de sel dans l’eau. De plus, il ne meurt pas en hiver.
Cette plante aime à s’enraciner dans les sédiments fins, les fonds vaseux, dans des zones ayant une profondeur de 0,5 à 10 mètres (plus généralement à des profondeurs se situant entre 0,5 et 3,5 mètres).
La croissance du myriophylle débute au printemps, lorsque la température de l’eau atteint environ 15°C. Il pousse jusqu’à 2 cm par jour dans de bonnes conditions, et peut atteindre la surface de l’eau en à peine 3 semaines.
Une fois la surface de l’eau atteinte par les plants de myriophylle à épis, ceux-ci se ramifient abondamment, et forment des faisceaux pouvant atteindre 300 tiges par mètre carré.
La canopée très dense qui se forme à la surface de l’eau empêche la lumière de passer, réduit rapidement l’abondance des plantes aquatiques indigènes, la diversité de macro-invertébrés et de poissons.
Cette plante a la capacité, en certaines conditions, de modifier son environnement à son profit (frein au courant augmentant la sédimentation, donc l’envasement), et d’accélérer le vieillissement prématuré des plans d’eau infestés.
Elle peut également influencer certains paramètres physico-chimiques de la zone littorale, telle la température de l’eau et le taux d’oxygène dissout.
En effet, toute plante produit de l’oxygène, mais en consomme également, surtout la nuit.
Une trop grande densité de plante peut donc faire varier de manière significative au cours de la journée le taux d’oxygène dissout, particulièrement lors de grands épisodes de forte chaleur.
Sans compter les plantes en décomposition qui stagnent, entraînant une diminution de la concentration en oxygène dissout.
On ne lui connaît que très peu de prédateurs naturels, cette plante ne semblant pas vraiment appréciée par les herbivores (cygnes, poissons, écrevisses …), qui ne les broutent seulement que s’il n’y a plus rien d’autre à se mettre sous la dent.
Il en est de même lors d’essais de contrôle biologique de cette plante effectués avec des amours blancs.
Certaines études tendraient à montrer que cette plante diffuse autours d’elle des émanations qui éloignent les prédateurs potentiels, réduisant ainsi drastiquement le nombre d’animaux pouvant y vivre à proximité.
Malgré la résistance à certains endroits des potamots et des élodées à cet envahissement, force est de constater qu’une partie du lac de Madine est de plus en plus peuplée par le myriophylle.
En plus des problèmes environnementaux, cette plante aux longues tiges qui se répandent à la surface pose de nombreux problèmes à la navigation, sans parler des risques de noyades, certains baigneurs imprudents pouvant avoir du mal à s’extirper de cette masse spongieuse.
A certains endroits du lac, notre bon vieux potamot national résiste encore et toujours à l’envahisseur
Au Québec, le myriophylle à épis a totalement envahi une grande majorité de plans d’eau, et de nombreuses études essaient de trouver une solution à ce problème, qui mine l’environnement, le tourisme, etc …
Différents essais de contrôle biologique sont en cours, et l’un d’eux semble apporter une potentielle perspective.
Connaissez vous le charançon, cet insecte honni par les agriculteurs et les jardiniers, ce minuscule coléoptère phytophage ravageur, capable d’anéantir en quelques jours un champs de maïs ou de betterave ?
La particularité de cet insecte, dont on recense plus de 50 000 espèces, et d’être hyper spécialisé.
En effet, on va trouver le charançon du pin, le charançon du bananier, de la carotte, de la noisette, etc …
Et il existe bien un charançon spécialisé pour le myriophylle :
Euhrychiopsis lecontei Dietz (Coleoptera : Curculionidae) est un charançon aquatique, indigène de l’Amérique du Nord.
C’est un herbivore spécialisé dans les plantes du genre Myriophyllum. Il vit, se nourrit et se reproduit uniquement sur les plantes aquatiques Myriophyllum, et de préférence sur le myriophylle à épis.
Le charançon et sa larve minent la tige du myriophylle, ce qui inhibe sa croissance, et permet à l’eau de pénétrer dans la tige. La flottabilité de la tige est ainsi altérée et cette dernière sombre dans la colonne d’eau. Les plantes avec les tiges endommagées voient leur viabilité réduite, et sont ensuite attaquées ou nécrosées par des bactéries.
Le transport des nutriments est inhibé, ce qui compromet la survie de la plante durant l’hiver, affecte sa capacité à repousser au printemps suivant, et limite sa capacité à produire de nouvelles racines.
Euhrychiopsis lecontei Dietz (Coleoptera : Curculionidae) Image iNaturalist
Cette méthode de contrôle biologique, actuellement à l’essai, n’entraîne pas une élimination complète des herbiers de myriophylle à épis, mais elle restreint fortement sa croissance et sa prolifération.
Une fois que le myriophylle à épis est infecté par le charançon, la taille et la densité des herbiers diminuent, ce qui permet à la lumière de pénétrer davantage dans le lac. Les plantes aquatiques locales profiteront de cette lumière et de ce nouvel espace pour croître, et pourront éventuellement limiter le futur développement du myriophylle à épis.
De très sérieux essais sont en cours au Canada depuis plusieurs années, dans le cadre d’une possibilité de contrôle biologique des myriophylles par le charançon. En effet, nos amis canadiens, bien que sensibles à l’environnement, sont pragmatiques, et voient d’un très mauvais œil les conséquences économiques néfastes liées à cette infestation.
Reste à concrétiser cette solution à grande échelle, à vérifier que cet insecte n’interfère pas avec d’autres plantes, et qu’il peut trouver un environnement compatible avec son cycle de reproduction. En effet, le charançon hiverne au sec sur terre, et a besoin d’un litière de feuilles mortes et de matière organique, ce qui n’est pas toujours possible en milieu urbain.
De là à imaginer qu’il sera peut être possible d’utiliser un jour cette solution prometteuse en France relève d’une gageure, car il est toujours difficile d’évaluer les dégâts que peuvent causer l’introduction d’une espèce non endémique, surtout un insecte ravageur capable de se reproduire trois à cinq fois par an.
Et alors que l’on en est au stade de tentatives afin de trouver comment limiter le développement de ces plantes invasives, la prochaine vague arrive déjà, avec une nouvelle venue dont le nom est : « Eventail de Caroline ».
Ne pas se laisser berner par ce joli patronyme. Cette plante s’annonce encore plus envahissante que les précédentes …
AB
Remarquable cet article. Et le poisson dans cet jungle… Que devient-il ? Bravo ! Cordialement. Robert
Article très intéressant ..