Augmentation des cartes de pêches, les éclairages d’un lecteur

avatar-esoxiste-2014Merci à Vincent DURU, chargé de mission à la Fédé 04, qui a bien voulu nous éclairer un peu sur les raisons de ces augmentations des tarifs des cartes de pêches. Si ces augmentations régulières me navrent toujours autant,  je sais désormais grâce à Vincent à quoi elles sont dues et où part mon argent.

Voici son intervention très claire et très argumentée:

“Cher Sylvain,

Lecteur intéressé de votre site internet (que je connais depuis peu mais que j’ai rapidement apprécié), j’ai découvert le 10 novembre dernier, un billet d’humeur concernant l’augmentation du prix de la carte de pêche interfédérale en 2015 accompagné du ras-le-bol légitime en cette période de crise et de pression fiscale.

Vincent-DURUCependant, je souhaiterais apporter une contribution provenant de l’intérieur, car au-delà de ma passion pour la pêche des carnassiers et des salmonidés, je suis également employé d’une fédération de pêche. Il s’agit pour moi d’exposer un point de vue à titre personnel et qui n’engage que moi. Ce point de vue est fort divergeant du vôtre et je vous remercie d’autant plus de bien vouloir vous prêter au jeu du « droit de réponse », c’est tout à votre honneur.

Le mécontentement que suscite l’augmentation de la carte de pêche vient au moins autant du manque d’information concernant l’utilisation de l’argent des pêcheurs que de l’augmentation elle-même. Il s’agit malheureusement d’un déficit chronique de pédagogie émanant à la fois des AAPPMA et des Fédérations départementales. Ce déficit que nous tentons de rectifier depuis quelques années, est encore loin d’être comblé mais les fédérations y travaillent en collaboration avec leurs AAPPMA. A ce sujet la mise en ligne du rapport d’AG est une très bonne idée que je retiens, nous n’avons rien à cacher et montrer patte blanche à nos pêcheurs est la moindre des choses.

  • Qu’en est-il de l’argent des pêcheurs au niveau départemental ?

 

La part AAPPMA est très variable d’un département à l’autre et quoiqu’on en dise, elle est le fruit d’une réflexion (et d’un vote) entre une fédération et ses AAPPMA qui se sont mises d’accord sur la somme répartie entre les collectivités piscicoles du département … et qui est systématiquement remise en cause au bout de quelques années. C’est tout à fait normal, le changement d’élus peut amener à un changement de position sur cette répartition. La caisse de compensation que vous abordez doit être un outil financier propre à votre fédération car cela n’existe pas dans tous les départements.

Concernant cette augmentation progressive :

N’oublions pas que les textes de loi relatifs à la gestion de l’eau qui se sont succédés voir chevauchés à partir de 1992 (loi sur l’eau de 92, SDAGE, LEMA), ont donné de plus en plus de missions aux collectivités piscicoles. Les missions dites régaliennes (normalement de la responsabilité de l’Etat) se sont étoffées avec le temps et sont légalement à la charge des fédérations départementales (protection des milieux aquatiques, gestion des ressources piscicoles et pédagogie à l’environnement).

pecheur-brume287Pour simplifier, à partir de 1992, l’obligation réglementaire d’un plan de gestion départemental accompagné d’un diagnostic préalable et les travaux de restauration du milieu qui en découlent, ont petit à petit nécessité des moyens humains et financiers conséquents. C’est ainsi que les fédérations ont connu des vagues successives de recrutement en ingénieurs et techniciens afin d’assumer ces missions au moment même où le Conseil Supérieur de la Pêche (futur ONEMA) entamait sa lente séparation des collectivités piscicoles. Cette séparation s’est achevée lors de la publication de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006. Pour rappel, les agents du CSP étaient des agents de l’État payés seulement pour partie par l’argent des pêcheurs.

Quand le prix de la carte a augmenté de 54,5 % (il doit y avoir une petite erreur dans votre calcul) en 19 ans et de 45 % sur la période 1996-2013 (l’année 2014 n’étant pas encore achevée d’un point de vue comptable), les dépenses des fédérations pour assumer leurs nouvelles missions ont augmenté de … 150 % sur cette même période 1996-2013.

Point de petits fours, de beuveries ou de repas gargantuesques comme j’ai pu le lire au travers de certains forums (cette caricature revient d’ailleurs très souvent). Cela s’explique par des investissements coûteux sur le milieu qui étaient quasi-inexistants avant les premiers plans de gestion départementaux mis en place en 1996. Une grande part de cette augmentation s’explique également par l’embauche de plusieurs personnels techniques nécessaires à la réalisation du plan de gestion et des travaux de restauration associés (reméandrage, rétablissement des continuités piscicoles, réhabilitation de frayère). D’ailleurs, notre communication pendant cette période sur l’ensemble des secteurs restaurés, a été quasi inexistante, faute de personnel déjà sur la brèche pour les actions techniques.

A cela, il faut bien évidemment ajouter le travail administratif et comptable, une présence forte auprès des collectivités territoriales gestionnaires de cours d’eau, des avis techniques (pas toujours suivis) donnés auprès des administrations en charge de la police de l’eau (ONEMA, DDT), des suivis piscicoles pour le compte de nos AAPPMA, des sauvetages à l’électricité en cas de sécheresse ou encore la mise en place d’écoles de pêche … autant de missions qui nécessitent des moyens considérables et qui, il est vrai, ne sont pas toujours perceptibles par les pêcheurs.

Pour ne rien arranger, une crise majeure du bénévolat au sein de nos AAPPMA a fait (et fait toujours) l’objet d’une compensation par une professionnalisation croissante des Fédérations de pêche. Il s’agit malheureusement d’une crise qui touche l’ensemble du secteur associatif, bien au-delà de la seule activité pêche.

Les fédérations ont, pour certaines, quasiment triplé leurs effectifs de salariés entre 1992 et 2014 afin de porter à bout de bras des missions normalement assurées par l’État. La masse salariale est généralement le premier poste de dépense des fédérations de pêche.

À ce titre, je tiens à rappeler que l’argent des pêcheurs, bien que constituant la première ressource financière des FDPPMA, ne suffit pas pour boucler le budget annuel de ces dernières puisqu’elles sont obligées de le compléter par des subventions pour lesquelles elles sont éligibles de par leurs missions de service public.

  • Et au niveau national ?

 

pecheur 011112 (1)La carte interfédérale comporte notamment la Cotisation Pêche et Milieux Aquatiques (CPMA) de 33,8 € qui inclut la Redevance pour les Milieux Aquatiques (RMA) de 8.8 € reversée aux six Agences de l’Eau réparties sur les six grands bassins versants en France. Ces agences sont des établissements publics de l’Etat sous tutelle du Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable et de l’Energie. Leur budget provient de redevances fonctionnant sur les principes de pollueur/payeur (industries, agriculteurs, …) et de préleveur/payeur (consommateurs d’eau potable, pêcheurs, …).

On pourra toujours trouver que cette RMA est trop importante mais il faut savoir que cette « taxe » qui vient des usagers de l’eau retourne exclusivement à l’eau, autrement-dit à la restauration de la qualité chimique et écologique de nos cours d’eau. Par ailleurs, les Agences de l’Eau sont des partenaires techniques et financiers incontournables de nos fédérations, elles financent en partie les actions des collectivités piscicoles et c’est de ces Agences que proviennent le SDAGE (texte à portée réglementaire servant de socle commun de la politique de l’eau à l’ensemble du territoire couvert par une Agence de l’Eau).

Les 25 € restants de la CPMA reviennent à la Fédération Nationale pour la Pêche en France. Que fait la FNPF de cet argent : 60 % est consacré à la création et à la pérennisation de trois postes techniques (ingénieur, technicien, garde-pêche) et d’un poste administratif dans chaque fédération départementale. 25 % est directement reversé dans la restauration des milieux aquatiques. Cela représente 17 millions € reversés à l’ensemble des fédérations départementales sans oublier l’aide apportée aux associations « migrateurs » qui restaurent petit à petit les continuités écologiques pour voir le retour de nos grands migrateurs.

Les 15 % restant permettent d’assurer le fonctionnement de la FNPF et notamment la quinzaine de postes répartis sur 7 pôles (développement du loisir pêche, communication, technique, juridique, …) qui permettent d’assurer la mutualisation des moyens et des connaissances des fédérations départementales, un lobbying à l’échelon national, la défense juridique des structures associatives de la pêche, la participation à la rédaction de textes de loi auprès de notre Ministère de tutelle ou encore un soutien technique auprès des FDPPMA.

  • Quel bilan tirer sur l’utilisation de l’argent des pêcheurs ?

 

pecheur flotteur (1)Bien sûr, on pourrait faire mieux avec l’argent des pêcheurs, chacun des 1 400 000 pêcheurs ayant sa petite idée pour améliorer la situation de la pêche en France. Il faut bien faire un consensus qui par définition, ne plaira pas à tout le monde.

Cependant, l’argent issu de la vente des cartes de pêche est globalement bien géré, d’ailleurs l’accès récents des Fédérations Départementales à l’argent public, oblige ses dernières à une gestion rigoureuse faute de quoi, elles seraient privées de cette manne financière.

Le reproche que l’on peut faire aux Fédérations départementales est de ne pas savoir expliquer le travail réalisé pour les pêcheurs via des actions de long terme et peu visibles mais ô combien importantes pour les milieux aquatiques.

Les dépenses effectuées par la FNPF sont également loin d’être irrationnelles. On peut les trouver discutables mais encore une fois chacun trouve midi à sa porte. Il n’est pas interdit d’avoir un avis différent de celui qui fait consensus.

Quant à la supposée inaction des Fédérations départementales, pour en connaître un certain nombre, je peux certifier que beaucoup font un maximum dans les limites de leurs moyens. Moi le premier, je souhaiterais souvent aller plus loin sur certaines études ou engager mes élus sur des actions de restauration lourdes mais concrètement, je fais avec les moyens du bord et ils ne sont pas extensibles.

Enfin je souhaite lourdement insister sur une notion importante à mes yeux : la multitude des acteurs de l’eau. Beaucoup de pêcheurs reprochent aux AAPPMA et aux fédérations départementales, l’état fortement dégradé de certaines rivières. On ne peut pas incriminer sans cesse les collectivités piscicoles qui sont loin d’être les seuls acteurs et gestionnaires de nos cours d’eau et qui ne sont pas à l’origine de ces dégradations. J’en veux pour preuve la représentativité des acteurs qui siègent dans les Agences de l’Eau : agriculteurs, industriels, services de l’état, collectivités territoriales, hydroélectriciens, sport d’eaux vives et enfin les pêcheurs. Nous ne sommes qu’un acteur parmi tant d’autres. Les décisions sont prises collectivement, des fois dans notre sens et d’autre fois à contre-sens de ce que nous souhaiterions.

En d’autres termes, seul un lobbying puissant de la part de 1,4 millions de personnes peut permettre de faire bouger les lignes …

Quels sont les pêcheurs qui ont conscience qu’ils n’achètent pas un droit de pêche en début d’année mais qu’ils payent une adhésion à une association de protection des milieux aquatiques. Ne dit-on pas un « permis » de pêche. Il ne s’agit pourtant pas d’une permission mais d’une adhésion volontaire à des associations reconnues d’utilités publiques.

Acheter sa carte de pêche en début d’année, c’est permettre à près de 1000 salariés et 40000 bénévoles de faire du mieux qu’ils peuvent pour rendre service à leurs pêcheurs et protéger les milieux aquatiques.

Vincent DURU “

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