« Selon l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), les espèces exotiques envahissantes sont des animaux, des plantes ou d’autres organismes, introduits par l’homme dans des zones se situant hors de l’aire naturelle de distribution de l’espèce. Elles s’installent, se propagent et peuvent avoir de graves conséquences sur l’écosystème et les espèces indigènes. »
Cette introduction d’espèces exotiques invasives, qui peut être accidentelle, est malheureusement trop souvent volontaire.
On ne compte plus les animaux échappés ou remis en liberté (tortue de Floride, tamia rayé, …), les plantes d’ornement qui se sont disséminées (renouée, herbe de la pampa, …), et en ce qui nous concerne peut être un peu plus en tant que pêcheurs, la dissémination de plantes issues de vidanges d’aquariums (jussie, élodée, myriophylle, …), qui envahissent rivières et plans d’eau.
L’impact négatif des ces envahisseurs est très important :
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Concurrence aux espèces indigènes, modification de l’écosystème
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Impact sanitaire, dissémination d’agents infectieux, …
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Impact économique : Destruction de récoltes (parasites du bois …), infrastructures dégradées (soulèvement de chaussée, blocage d’écluses …), etc.
La plupart des plantes envahissantes ont une dissémination importante grâce à leur mode de reproduction efficace (grand nombre de graines, bouturage et marcottage, …), et de part les activités humaines (transport de terre contaminée, gestion de déchets verts, …)
Les moyens de gestion ou d’éradication de ces plantes ont un coût financier non négligeable, car les espèces exotiques invasives sont particulièrement difficiles à contrôler et à éliminer.
Plan d’eau envahi par la jussie (image bwwellsassociation )
Cette situation, déjà compliquée à gérer sur la terre ferme, devient encore plus difficile à appréhender dans le milieu aquatique.
En effet, seul l’arrachage mécanique ou le faucardage sont légalement autorisés, et il n’est pas question d’envisager d’utiliser un traitement chimique (désherbant phytosanitaire, …) dans un plan d’eau ou une rivière, sans risquer une catastrophe écologique sur la faune et la flore aquatique (en plus de la condamnation pénale et de l’amende salée qui vont découler de ce traitement…).
Le cas du lac de Madine :
Le lac de Madine est un plan d’eau artificiel de 1100 hectares. Cette retenue a été créée au début des années 1960 pour servir de réserve d’eau potable, et la mise en eau s’est achevée à la fin des années 70.
La principale plante invasive repérée, et qui a commencé à proliférer pendant les années 90, a été l’élodée du Canada.
Cette plante, communément appelée « peste des eaux » s’est peu a peu disséminée dans le lac.
Cette expansion a été assez lente, et s’est cantonnée principalement aux abords des berges. En effet, l’élodée du Canada ne se développe que jusqu’à des profondeurs de 1,00m. Elle ne semblait pas représenter une gène trop importante pour les utilisateurs du plan d’eau (voile, pêche, …), et cohabitait avec les herbiers d’espèces autochtones (potamots principalement).
Mais peu à peu, l’élodée de Nuttall a fait sont apparition, et a supplanté l’élodée du Canada.
Elodées à Madine
Les deux espèces se développent dans des eaux relativement riches en nutriments et en minéraux, qui leur assurent un développement optimal.
Cependant, les trop fortes concentrations en nutriments (formes du phosphore et de l’azote notamment) freinent le développement de l’élodée du Canada, alors que l’élodée de Nuttall sait parfaitement tirer parti de la situation.
On peut tenter d’expliquer une partie de ce phénomène par l’eutrophisation du milieu, lié au vieillissement du lac, et par la pollution des eaux par les nitrates et les phosphates issue des activités humaines, qui contribuent fortement à l’invasion des milieux aquatiques par les élodées.
De plus, l’élodée de Nuttall peut s’enraciner dans le substrat jusqu’à environ 3,00m de profondeur d’eau, et son expansion sur une plus grande surface a commencé à poser des problèmes, notamment pour la pratique de la voile, et a contribué à réduire les zones de pêche accessibles du bord.
Des campagnes de faucardages ont été mises en place depuis 1996, ce qui a contribué à faire empirer la situation. De nombreuses observations ont montré que le développement de la plante s’est accéléré suite à ces faucardages, à cause de la dissémination de nombreux fragments non ramassés, bouturant très facilement.
En outre, le faucardage et le ramassage mécanique de l’élodée est un véritable écocide. Les amoncellements de végétaux rejetés sur les berges grouillent de vie, car un grand nombre d’animaux (mollusques, crustacés, insectes, alevins de poissons, …), qui trouvent habituellement refuge dans les élodées, sont piégés lors de la récolte. Et tout ce petit monde se meurt, en se desséchant lentement au soleil …
Alors, pas de solution ?
Lors de la dernière assemblée générale de notre aappma, notre vice président, qui assiste à (presque) toutes les réunions concernant le lac de Madine (commissions de bassin, syndicat mixte d’aménagement, etc …), nous a relaté avoir pu assister à une réunion d’information concernant une nouvelle méthode écologique de traitement des plantes invasives aquatiques.
Cette réunion était animée par un scientifique renommé, professeur honoraire de l’université de Metz : Jean Claude Pihan.
N’ayant pu moi-même assister à cette réunion, et désireux d’obtenir des explications sur cette solution de traitement, j’ai sollicité un rendez-vous auprès de Mr. Loïc Chomel de Varagnes, cofondateur avec Mr. Pihan de la société Biocaptech.
Cette entreprise a réussi à mettre au point un procédé désherbant mettant en œuvre un biocide vert et naturel, non bioaccumulable et totalement bio-dégradable.
En outre, Mr Chomel de Varagnes revendique le fait que cette technique respecte totalement l’écosystème.
Après 3 ans de travaux, de recherche et de mise au point, avec entre autre la collaboration des Universités de Metz et de Nancy, de l’ENSAM, du CNRS, de l’INRA, du bureau d’études FP. Environnement, et l’appui financier de la Région Lorraine et du FEDER, les équipes de recherche de Biocaptech ont réussi à mettre au point un procédé innovant de traitement des plantes aquatiques invasives et/ou envahissantes en sélectionnant un composé allélopathique.
Allélopathie :
Définition (Elroy Leon Rice, écologue américain / 1960) :
« Tout effet direct ou indirect, positif ou négatif, d’une plante (micro-organismes inclus) sur une autre, par le biais de composés biochimiques libérés dans l’environnement par cette plante»
Dans les faits, certains composés allélopathiques se comportent comme des herbicides naturels, et de nombreuses espèces végétales synthétisent des molécules capables d’agir sur le développement des plantes concurrentes.
Par exemple, il est bien connu qu’aucune végétation ne pousse à l’ombre d’un noyer :
En effet, le noyer commun sécrète une substance toxique, le juglon, qui se dépose sur le sol et empêche le développement d’autres espèces végétales autour de son tronc.
Les utilisations possibles de l’allélopathie en agriculture font déjà l’objet de recherches intensives.
Les travaux de la société Biocaptech se sont concentrés sur deux axes principaux :
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Recherche de substances actives naturelles (extraits de plantes)
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Mise au point d’un procédé de diffusion de ces substances adapté au milieu aquatique, dans le cadre d’un traitement ciblé
Deux années d’essais en milieux naturels ont été nécessaires afin de définir un protocole adapté aux différentes espèces visées :
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Certaines algues
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Plantes hydrophytes
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Cyanobactéries
Le principe mis au point est la diffusion lente à très faible dosage des principes actifs (quelques µg/litres), afin de créer une toxicité chronique sur la plante visée sans avoir d’impact sur la biocénose associée.
(En écologie, la biocénose est l’ensemble des êtres vivants coexistant dans un espace écologique donné, plus leurs organisations et interactions. Ensemble, le biotope et la biocénose forment un écosystème / or. Wikipédia)
Traitement à Pont à Mousson / Plan d’eau le Grand Bleu (image Biocaptech)
Les essais ont montré qu’il n’y a aucun effet sur les organismes non ciblés, et qu’il n’y a pas de mortalité chez les poissons, les macro-invertébrés, le zooplancton et le phytoplancton.
De plus, le traitement se fait par strates dans la couche d’eau: Sur une épaisseur de vingt centimètres au fond pour le traitement des hydrophytes en début de croissance (élodées, myriophylle, …), et en surface pour le traitement des efflorescences de cyanobactéries.
Les essais ont également montrés que les principes actifs se bio-dégradent en quelques jours, et ne laissent aucun résidu biocide dans l’eau.
Les résultats sont très prometteurs, et bien que le coût à l’hectare d’un tel traitement soit encore élevé, nul doute que l’industrialisation du procédé rendra cette solution rentable.
La technique mise au point par Biocaptech est intéressante pour tout gestionnaire de plan d’eau, pêche, etc. dans le cas d’un traitement localisé (port de plaisance, écluse, plage …), ou dans le cas d’une échelle plus vaste de traitement des herbes invasives (pratique de la voile, etc.).
Résultat des essais de traitement sur l’élodée : Noircissement de la plante et destruction de la chlorophylle (image Biocaptech)
L’autre enjeu pour Biocaptech, c’est la qualité de l’eau, qui ne cesse de se dégrader.
En effet, et pour ne citer que cet exemple, les pullulations de cyanobactéries dans des réservoirs superficiels d’eau potable sont de plus en plus fréquentes (en raison de déséquilibres écologiques), et 50% de ces cyanobactéries libèrent des endotoxines potentiellement dangereuses pour l’homme et les animaux.
Le procédé mis au point par Biocaptech semble pouvoir répondre à ces problématiques.
Mr. Chomel de Varagnes espère pouvoir obtenir de l’ANSES une autorisation pour faire un essai sur le lac de Madine, avec d’une part le traitement des élodées, et d’autre part le traitement de cyanobactéries, qui sont apparues en automne 2017, ce qui est problématique pour un réservoir d’eau potable.
On peut espérer que sa demande aboutisse, et, si les résultats sont positifs, cela ne pourra être que bénéfique pour le lac de Madine et ses usagers.
En effet, le lac de Madine est à la croisée de différents usages de l’eau (réserve Natura2000, eau potable, loisirs, pêche), et le traitement mis au point par Biocaptech devrait pouvoir satisfaire ces différents usages.
Des études hydrobiologiques globales sont actuellement réalisées par FP.Environnement pour une meilleure connaissance de l’écosystème du lac, avant la réalisation d’un traitement (http://f.p.environnement.monsite-orange.fr/).
Les perspectives en matière d’eau douce dans le monde ne sont pas réjouissantes, puisque de l’avis général, sa raréfaction semble inéluctable.
De plus, selon une étude des Nations Unies, l’eau pourrait même devenir, d’ici à 50 ans, un bien plus précieux que le pétrole.
En France, nous avons la chance d’avoir beaucoup d’eau à notre disposition, que ce soit pour notre usage de loisir (pêche, navigation, baignade, …), nos besoins quotidiens, notre économie.
C’est dire toute l’importance de cette ressource, qu’il faut pouvoir préserver de manière la plus naturelle possible.
Pour tout renseignements, n’hésitez pas à contacter Biocaptech http://www.biocaptech.net/
AB
Mes remerciements à Monsieur Chomel de Varagnes pour m’avoir reçu, et à Monsieur Pihan pour ses conseils et son aide à la rédaction de cet article.
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