Voici un texte que son auteur avait placé en commentaire dans l’un de mes articles sur le cormoran. Je l’ai jugé si bien écrit et si pertinent que j’estime que sa place est plus comme un article à part entière. Le voici dans son intégralité:
Pourquoi la pêche ?
La pêche n’est pas un sport, ni un loisir comme les autres. Elle est inscrite dans les gènes de nombreux individus, depuis que l’humanité, dès sa création, a été contrainte de pêcher pour assurer sa survie.
On naît pêcheur, et dans ces conditions, la pêche est un besoin, une nécessité.
Qu’apporte la pêche aujourd’hui?
Au citadin : le ressourcement, la paix de la nature, nécessaires face au tumulte, à la pollution et à l’effervescence des villes.
Au « rural » : vivre la vie qu’il a choisie, en osmose avec la nature. Un plaisir simple qui le maintient sur place alors que tout s’en va : la poste, le boulanger, l’école, la gendarmerie…
Qu’il soit citadin ou rural, par amour de la pêche, l’intérêt du pêcheur est de protéger la nature, en particulier le milieu aquatique. Protection dont le reste de la communauté profite.
Profitent aussi de la pêche, de nombreux secteurs économiques qui gravitent autour d’elle.
Qu’est-ce que la pêche ?
Qu’il garde le poisson ou qu’il le rejette, le pêcheur veut attraper du poisson. Situé à la fin de la chaîne écologique, ou alimentaire, le pêcheur exerce un acte de prédation naturelle.
De quoi la pêche a-t-elle besoin ?
Tout acte de prédation a besoin de proies. Dans la nature, une règle est fondamentale : un équilibre s’établit automatiquement entre le nombre de prédateurs et celui des proies. Plus ces dernières sont abondantes, plus le nombre des prédateurs s’accroît. Et vice et versa.
Conclusion évidente : Plus les cours d’eau seront poissonneux, plus il y aura de pêcheurs. Mais la réciproque est vraie aussi : le nombre des pêcheurs diminue avec la raréfaction du poisson qu’ils recherchent.
La ressource en poissons recherchés par le pêcheur augmente-elle, ou est-elle en diminution ?
Si les responsables de la pêche s’étaient donné la peine de réaliser des inventaires piscicoles réguliers durant ces 50 dernières années, la comparaison des résultats établirait la preuve incontestable d’une forte diminution. Pour ceux qui ont parcouru les berges, canne à pêche
à la main, durant cette période, c’est une évidence. Et ceux qui la contestent sont loin d’apporter la preuve du contraire.
Pourquoi une diminution de la ressource ?
Pollutions urbaines et agricoles, urbanisation galopante, abandon de l’entretien des cours d’eau, etc., ont incontestablement un impact négatif sur le développement de la chaîne aquatique. Les pêcheurs, malgré tous les moyens qu’ils ont mis en oeuvre, ont assisté, impuissants, à une lente mais continue dégradation, encore actuelle, de la faune piscicole.
Est-ce la seule raison de la raréfaction du poisson ?
Non ! Depuis l’application de la directive européenne « oiseaux » de 1979, tous les oiseaux piscivores ont été totalement protégés. Ces espèces n’ayant pratiquement pas de prédateurs naturels, leur population est en constante augmentation, de même, par conséquent, leurs prélèvements de poissons. Ces prélèvements ne sont malheureusement pas compensés par une augmentation de la productivité des cours d’eau sur lesquels ils s’exercent. Il y a donc une baisse constante de la population piscicole.
Avec quelle conséquence ?
Les pêcheurs doivent partager une ressource affaiblie, avec des oiseaux piscivores toujours plus nombreux. D’un côté, des oiseaux protégés, naturellement doués pour la pêche, totalement libres d’exercer leur prédation. De l’autre, les pêcheurs, qui s’imposent toujours plus de restrictions afin de ne jamais mettre en péril la ressource piscicole.
Le combat est inégal. Et truqué, car par la volonté de l’homme, les oiseaux piscivores, favorisés, sont les plus forts et prennent le dessus.
La nature impose ses lois et ne fait pas de sentiment. Le plus faible des prédateurs, dominé, commence à disparaître et un nouvel équilibre s’établit sans lui, entre oiseaux et poissons.
Et les pêcheurs, dans tout cela ?
Pour l’heure, ils doivent se contenter de ce qui leur reste. Si rien n’est fait, prendre du poisson deviendra de plus en plus difficile, et une forte sélection s’opérera parmi eux. Ceci est déjà le cas actuellement. Beaucoup de pêcheurs, anciens ou nouveaux, abandonnent : pour eux, la pêche a perdu son intérêt. Elle est souvent perçue trop chère par rapport au plaisir qu’elle procure. A contre coeur, les pêcheurs se dirigent ailleurs.
Les plus mordus résistent. Ils ont augmenté leur performance en se spécialisant dans des pêches très techniques, mais coûteuses. Ils arrivent encore à tirer leur épingle du jeu.
La réciprocité permet au pêcheur lambda d’exercer sur un plus vaste territoire. Malgré cela, au constat parfois décevant d’une pénurie généralisée, s’ajoutent des déplacements contraignants, en temps et en argent.
Certains porteurs de permis oublient les rivières et se tournent vers des plans d’eau privés qui, régulièrement alevinés, leur procurent – souvent au prix fort- les sensations qu’ils recherchent.
Pour augmenter leur efficacité, d’autres font appel à des guides de pêche …
Les plus fortunés vont pêcher à l’étranger, là où la ressource et naturellement abondante, ou particulièrement protégée.
Quelques pêcheurs au grand coeur remettent leurs prises à l’eau, dans l’espoir d’une reprise, par eux ou par d’autres, inconscients du déséquilibre écologique – heureusement ponctuel – qu’ils provoquent.
Comment en est-on arrivé là ?
Lorsque les oiseaux piscivores ont été protégés, les pêcheurs n’ont pas, ou peu, réagit. Ils n’ont pas pris conscience de la menace et, en amis de la nature, ils ont plutôt bien accueilli une mesure qu’ils ont perçue comme protectrice et qui ne les concernaient pas directement.
Lorsque des milliers de cormorans ont envahi nos rivières, les pêcheurs de base ont réagit. Mais après distribution de quelques distinctions par le ministère de l’environnement, les dirigeants nationaux de la pêche de l’époque sont devenus muets. De sont côté, le CSP, sensé défendre les intérêts des poissons et des pêcheurs, les a abandonnés à leur triste sort, se positionnant du côté des protecteurs des oiseaux.
Les pêcheurs sont-ils les seules victimes des oiseaux piscivores ?
Aux préjudices moral et financier que la protection intégrale des oiseaux piscivores inflige au monde de la pêche, s’ajoute une grave erreur économique.
Alors que sur notre planète la « ressource poisson » assure l’existence d’une immense partie de l’humanité, que les mers et les océans sont pillés, on constate que le potentiel de production piscicole des eaux douces est totalement négligé.
Depuis quelques décennies, la société de consommation et de gaspillage que nous construisons nous pousse à mépriser le rôle nourricier des cours d’eau, rôle pourtant joué depuis la nuit des temps.
Aujourd’hui, le poisson d’eau douce est de plus en plus souvent considéré comme un objet ludique, essentiellement voué à satisfaire le « loisir pêche ». Et les pêcheurs qui avouent manger leur poisson sont parfois montrés du doigt, voire qualifiés de « viandards ».
Pourtant, le fait de manger un poisson sauvage sorti du milieu naturel, au lieu d’un morceau de viande d’élevage par exemple, constitue une action positive, sur le plan économique et écologique, au regard des économies réalisées en eau, engrais, pesticides, carburant, etc.
C’est probablement pourquoi, paradoxalement, la pêche professionnelle en eaux douce accroît son importance. Et que, récemment, seuls les pisciculteurs ont été reconnus aptes à recevoir une aide de l’état dans la lutte contre les cormorans…
Conclusion :
La pêche et les pêcheurs sont victimes de la protection intégrale des oiseaux piscivores.
Ils ne sont pas les seules victimes. Les espèces aquatiques protégées : poissons (ombres, brochets, etc.), mais aussi les batraciens, sont également touchés.
Par exemple, particulièrement vulnérables, les ombres communs ont payé -et paient encore- un lourd tribut aux hordes hivernales des cormorans, encore inconnues jusqu’en 1997.
A la fin de l’été, les ombrets de l’année sont attendus dans la faible hauteur d’eau des radiers par des hérons toujours plus nombreux qui s’en goinfrent jours et nuits. (Les inventaires piscicoles révèlent un « trou » au niveau des N+1).
Quelques mois plus tard, ces mêmes hérons se déplacent sur les frayères à truites pour faire bombance des géniteurs, rassemblés et peu farouches, dans les ruisseaux en tête de bassin… où les pêcheurs ont favorisé leur venue ! Et combien d’autres prédations excessives, comme par exemple celle des grandes aigrettes qui viennent maintenant se cumuler en hiver avec la bande des prédateurs patentés.
Pourtant, dans ce contexte totalement défavorable, les pêcheurs continuent à se montrer responsables et soucieux de protéger la ressource. En ce qui concerne l’ombre commun, par exemple, ils ont consenti à augmenter considérablement la taille de capture, étant conscients que cette mesure était de nature à réduire à presque rien leurs prélèvements.
En retour, Ils exigent de la part des protecteurs, un geste réciproque permettant la réduction du nombre des oiseaux piscivores et le rétablissement d’un équilibre écologique dans lequel l’homme retrouverait sa place.
Gageons que ce geste ne sera ni spontané, ni librement consenti et un important travail de persuasion s’avère donc indispensable.
Aussi les pêcheurs demandent aux élus nationaux de prendre pleinement conscience de l’importance de l’enjeu et de jouer enfin le rôle qu’ils attendent, face à la protection inconsidérée des oiseaux piscivores.
J.F. SCHERLEN
Administrateur fédération 88 et délégué URGE Vecoux, janvier 2013
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