Michel Duborgel. « Traité pratique de la pêche en eau douce »

 Par Jean Paul Charles

Duborgel reste un auteur incontournable pour tous ceux qui se passionnent pour la littérature halieutique.

Né avant guerre, il a assisté à l’explosion de la pêche de loisir des années 50 et 60, avec la révolution du nylon, l’apparition de la fibre de verre et la fabrication en série des moulinets à tambour fixe, dont le Mitchell 300 deviendra la star.

Eh oui ! Avant, on pêchait à l’aide de cannes en bambou ou en riz de chine, avec du gut lové sur des tambours tournants rustiques, et du crin de Florence comme bas de ligne…

C’est donc dans un contexte complètement chamboulé par l’apparition de « nouvelles technologies » que Michel Duborgel fit son apparition dans l’immédiat après guerre.

Longtemps, il fut pêcheur professionnel -il ne vivait que du produit de sa pêche- puis ses articles commencèrent à être publiés dans les différentes revues de l’époque et sa carrière de journaliste halieutique pris le pas sur cette première activité. Rarement quelqu’un a vécu pour et par la pêche aussi intensément. Ses disciples furent nombreux, et Limouzin lui-même le considérait comme « le Pape de la pêche ».

L’ouvrage qui couronna sa carrière, et qu’on a surnommé à juste titre « La Bible » au vue de son épaisseur intimidante (817 pages !), reste sans conteste le « Traité pratique de la pêche en eau douce ».

Une somme. Tout y est, ou presque. Chaque espèce est passé à la moulinette, chaque technique au crible, avec en prime, les dessins circonstanciés de l’auteur. Même la « psychologie du poisson » est analysée, à la lumière de celle du pêcheur ! C’est le genre de bouquin qu’on peut relire sans cesse en y faisant chaque fois de nouvelles trouvailles. De la pêche au coup de l’ablette à la pêche à la mouche du saumon, Duborgel nous livre le fruit d’une longue et solide expérience.

A ma connaissance, c’est le seul livre en Français aussi complet sur le sujet. Les autres ouvrages du genre « généralistes » ne lui arrivent pas à la cheville.

Ce livre est aussi un témoignage des techniques de l’époque, il a une valeur historique à mes yeux.

Les pêcheurs de carnassiers seront peut-être déçus de la brièveté du passage consacré au sandre, mais il faut dire que celui-ci commençait seulement la colonisation de nos eaux dans les années 60 (Il donne quand même une technique originale pour le pêcher, au poisson nageur en pater noster !). Idem pour le silure, qui était quasiment absent à l’époque.

Par contre, la traque du brochet est examinée à la loupe. C’est sans doute ce qui a été écrit de plus complet sur le sujet. Inutile de préciser que ses observations restent valables aujourd’hui et qu’il n’y a pas la moindre trace de folklore ou d’affirmations fantaisistes dans ses propos. Duborgel, c’est du vécu !

Lorsqu’il parle de l’accoutumance aux leurres, il a cette réflexion fort juste :

« On dit que le brochet s’accoutume de plus en plus à ce leurre (la cuillère tournante) et s’en méfie désormais. Pourtant, une cuillère à brochet bien conçue (il en est de fort ancienne qui restent parfaites) et manœuvrée correctement sera toujours un leurre très meurtrier, à tel point que, dans les endroits où elle devient inefficace, c’est tout simplement parce que son utilisation intensive a provoqué la disparition rapide des brochets qui s’y trouvaient.

Le processus est toujours le même. Dans une pièce d’eau sillonnée en tous sens par des cuillères, les brochets moyens, parfois un gros, sont les premiers à s’y leurrer ; puis, plus ou moins rapidement, arrive le moment ou, à la fin d’une longue journée de pêche, la cuillère ne ramène plus qu’un brocheton d’un quart de livre. Comment résister à la tentation de le garder ?…C’est ainsi qu’arrivent ensuite les bredouilles totales qu’on met sur le compte de l’accoutumance. »

Le black bass, la perche, la truite, et bien sûr le saumon (qu’il pêchait dans le gave d’Oloron notamment), sont également explicités avec forces détails et croquis variés.

Duborgel, c’est aussi un style inimitable. Mélange d’autorité, de causticité et d’esprit de camaraderie, il y souffle un vent de liberté réjouissant. Sa prose anguleuse est relativement contenue dans le « Traité », ouvrage purement technique, mais elle prend de l’ampleur dans les nombreux articles qu’il écrivit  ailleurs, comme lorsqu’il aborde sa façon de pêcher l’anguille dans un numéro de « La pêche et les poissons » par exemple :

« L’anguille, pour moi, c’est un peu ce qu’était la langue pour Ésope; c’est-à-dire, tout à la fois, ce qu’il y a de pire et de meilleur. Existe-t-il, en effet, pire voleur d’œufs et d’alevins que ce poisson serpentiforme migrant en bandes innombrables depuis la mer des Sargasses pour s’égailler dans les fleuves, les rivières, les rus, les canaux, les lacs et les étangs; voire, en rampant au besoin à travers champs et chemins creux, jusque dans les plus petites mares sans aucune communication avec les eaux libres?
Mais existe-t-il aussi quelqu’un qui, après avoir goûté à une platée d’anguilles des gaves accommodées «à la Bordelaise » (c’est-à-dire en tronçons tout simplement rissolés à la poêle avec un hachis d’ail et de persil), oserait dire que ça n’est pas un vrai régal? Peut-être un de ces gars qui, pour n’aimer pas plus l’ail qu’ils n’aiment le bon vin, finissent généralement leur vie de «pisse-vinaigre» avant la cinquantaine.
Mais sûrement pas les Lacarrère, Etcheverry, Mirassou, Pucheu et autres joyeux copains d’Autevielle-Saint-Martin… copains qui se souviennent sans doute encore du soir d’orage où, pour avoir voulu leur pêcher une platée d’anguilles comme j’avais coutume de la faire quand le tonnerre grondait sur le gave de Mauléon, j’ai failli perdre mon bateau, deux de mes cannes à saumons… et, avec, le « hil dou diable» de Duborgel que j’étais pour eux! Ni ce «hil dou diable non plus», qui, fort heureusement pour lui, vit toujours, « toustem gauyoùs » (NDR : « toujours joyeux au sens « dru « du terme) et, désormais presque toujours dans un petit fleuve côtier normand ou même en bordure des falaises cauchoises, s’amuse encore à pêcher l’anguille des diverses façons que voici (…) »

Comme on le voit, cet homme aimait la vie avant tout, et la pêche était toute sa vie.

Il est dommage qu’il n’existe pas un recueil de ses articles, car la pêche à son niveau, c’était de la culture, et j’ajouterais même, du Grand Art.

Par Jean Paul CHARLES (texte et photos de l’auteur).

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