Les limites de la pêche associative

Soyons clair, je suis membre du conseil d’administration de mon AAPPMA et j’y exerce les fonctions de secrétaire, on ne pourra pas donc me taxer d’être franchement hostile à la pêche associative. Si je n’y suis pas foncièrement opposé, j’y vois quand même de réels problèmes qui vont à l’encontre d’une bonne gestion et de la promotion de la pêche en France.

Pourquoi ce sujet ? Tout simplement parce que j’ai découvert que le nombre de pêcheurs étaient passés de 2,2 millions en 1996 à moins de 1,2 millions actuellement et que si on enlève les cartes jeunes, très jeunes, femme, machin à la journée, truc à la semaine…..On n’obtient qu’environ 800 000 pêcheurs réguliers en 2012 ayant acquitté une carte annuelle majeur. Que dire des années 60 où le nombre de pêcheurs ayant un permis côtoyait presque les 3 millions.

Quel pourrait être la cause de ce déclin : La pollution ? Non, nos rivières sont bien moins polluées qu’avant. La réglementation compliquée, non plus elle ne n’est pas plus qu’il y a 50 ans même si j’aimerai qu’elle soit plus simple. Les autres loisirs, internet, un dédain des activités natures …Bôf, ça ne tient pas la route.

J’ai bien une petite idée, la société a changé mais pas la pêche associative ! Nous sommes passés d’une société collaboratrice et rurale à une société « perso » et urbaine. Nous n’allons plus à la petite épicerie qui vend tout trop cher mais qui permet de connaître les nouvelles du village, non, nous allons au supermarché, impersonnel, en tournant la tête dès que l’on croise une connaissance car on n’a pas le temps et on n’est pas là pour taper la causette.

On veut quelques chose rapidement, presque instantanément et on paye pour ça. On ne travaille pas pour participer à l’effort de la nation mais pour faire rentrer du pognon qu’on ira dépenser dans des services.

Connaissez vous des campings associatifs, de stations de ski où il faudrait soit même  passer la dameuse, etc..

La pêche associative, celle qui à pour idéal de permettre son accès au plus grand nombre en  mutualisant, en cherchant le bénévolat montre qu’elle intéresse de moins en moins de monde. Partout dans le pays les amicales, foyers ruraux, foyers associatifs, clubs sportifs amateurs, sont de plus en plus confronté à cette fuite des bénévoles.

Le français ne veut plus s’investir, il préfère payer et comme la société lui prouve tous les jours que c’est comme ça que ça marche, et bien il fini par en être persuadé.

Le pêcheur paye cher une carte de pêche annuelle, donc il veut du poisson CQFD. Et là, au bout de trois sorties bredouilles après avoir payé 72 euros sa carte,  il finit par se dire que chez les privés c’est mieux car ça mord là  au moins !!! C’est ce qui se profile depuis plusieurs années et qui inéluctablement va arriver : La privatisation de la pêche.

A l’image de la chasse où le chasseur paye une action et part chez le voisin la saison suivant s’il n’est pas satisfait et se contente d’un linéaire limité mais bien peuplé pour assouvir sa passion.

 

Le grand mal de l’associatif :

L’associatif est une cause noble au sens qu’elle se met bénévolement  à disposition des pêcheurs pour la gestion.  Une AAPPMA va avoir besoin de bras pour débroussailler, poser des échelées, nettoyer, couper des arbres, aleviner…etc. Ce bénévolat va de pair avec un dévouement au service de l’autre, ainsi on va mettre en place une animation gratuite pour les enfants, s’impliquer dans la vie du village par exemple. Ceci ne va pas sans une certaine démotivation qui finit par toucher celui qui consacre de longues heures aux autres durant plusieurs années et n’en est jamais récompensé.  La relève est parfois difficile à trouver et quelquefois certains baissent les bras et ne font plus rien ou presque. Comment motiver, comment obliger quelqu’un à se bouger s’il n’en a pas envie et si personne ne veut la place ?

Un autre coté pernicieux de tout ceci, et je le dénonce sans cesse depuis plusieurs année, est le bas de laine des AAPPMA. Si vous n’avez jamais remarqué que beaucoup de nos chères associations possèdent des livrets chez l’écureuil  abondamment garni avec notre argent, c’est que vous êtes un grand naïf. Certaines même, s’affranchissant des règles de droit, se permettent de ne pas faire état de ce compte livret lors du rapport financier en assemblée générale.

Pourquoi tant d’argent ? Parce que c’est un bénévole qui préside, il a toujours peur qu’on l’accuse de mauvaise gestion et préfère rendre un solde positif tous les ans que de taper dans la réserve pour aleviner ou mettre en place un action.

Dans mon département de Saône et Loire, la part AAPPMA sur une carte majeur se monte à 15,25 euros, c’est donc ce qui arrive directement dans la caisse de mon association. Certaines AAPPMA possèdent des sommes astronomiques par rapport au nombre de membres, par exemple 30 000 euros pour 100 membres alors que le budget annuel de fonctionnement n’est que de 3 000 euros. C’est anormal et cette thésaurisation peut conduire à des dérives comme cette AAPPMA l’Ablette Bressanne de l’ Ain qui a perdu une énorme somme d’argent dans des placements financiers douteux :

http://www.leprogres.fr/ain/2014/01/22/des-placements-illegaux-a-la-societe-de-peche-l-ablette-bressane

http://www.actu-pontdevaux.info/article-les-mecomptes-de-l-ablette-bressane-122233952.html

Rappelons qu’une association quelle qu’elle soit ne peut effectuer des placements avec l’argent de ses membres sauf si c’est précisé dans ses statuts (association de boursicoteur par exemple).

Cette accumulation d’argent sur les comptes, c’est autant de centaines de milliers voir de millions d’euros des pêcheurs qui manquent à la gestion piscicole. Un jour un gouvernement plus téméraire qu’un autre se  penchera sur cette manne et là nous pleurerons tous !

Le vieillissement des AAPPMA et l’hermétisme des instances dirigeantes

Une autre voie possible de la  désaffection envers la pêche est l’image renvoyée par nos bureaux d’AAPPMA vieillissants. Ces braves papys conçoivent quelquefois leur lieu de pêche comme n’étant qu’une extension de leur propriété. Ils veulent bien profiter des cotés positifs de la réciprocité en touchant des subsides fédéraux mais détestent voir des « étrangers » de l’ AAPPMA voisine venir pêcher sur leurs eaux. On en voit alors ne rien faire pour rendre le secteur  attractif, rester totalement hermétiques aux nouvelles techniques, aux pêches de nuits pour les carpistes, au float tube pour les jeunes, et vivre cachés mais heureux.

Souvent le pêcheur arrivant dans une nouvelle AAPPMA souhaite s’investir au sein du bureau mais la plupart du temps il trouvera porte close. S’il n’est pas coopté par un autre membre déjà implanté on lui fera comprendre gentiment qu’on a pas besoin de lui, qu’il est le bienvenu au nettoyage mais pour le reste pas besoin, on a ce qu’il faut. Quelquefois des AAPPMA sont plus ouvertes et accueillent  le petit nouveau, qui se retrouve vite désemparé face à l’immobilisme de bon aloi qu’affiche le conseil d’administration de  ces associations.

Certains s’insurgent, grondent, claquent la porte, dénoncent des malversations, d’autres ne défendent que  leur technique préférée en oubliant les autres ou d’autres encore se servent de leur AAPPMA comme d’un tremplin politique local. Comment voulez vous ensuite que le pauvre pêcheur lambda ne range pas les cannes et ne change de loisir ?

Nos fédés, notre FNPF, ne sont  pas toutes non plus  des modèles d’ouverture. Pas moyen de trouver les comptes rendus financiers, les chiffres clés sur les sites internet. A croire que ceux ci ne seraient réservés qu’aux présidents d’ AAPPMA ou de fédés assistants à l’ AG annuelle.

Après avoir longuement analysé les actions et la communication des instances de mon département , j’ai compris que ma fédé était progressiste mais se heurtait d’une part aux lenteurs  courantes d’instruction des dossiers mais aussi devait faire changer les mentalités de nos responsables locaux du monde de la pêche. Voir une réformette mettre 4 à 5 ans pour être mise en place peut faire croire  au profane que rien ne bouge mais en réalité cette mini réforme a demandé une énergie considérable  pour que la montagne accouche finalement d’une souris. Mais une souris c’est toujours mieux que rien me direz vous !

Les réglementations locales, les arrêtés départementaux :

S’il est bien une chose que l’homme n’aime pas quand il pratique un loisir c’est la complication et s’il est bien une chose que l’homme pratique quand il gère un loisir c’est aussi la complication.  Comment voulez vous y comprendre quelque chose quand ici la maille de la truite est de 18 cm sur une rive et 23 sur l’autre,  que l’ arc en ciel est ouverte comme la fario en Saône et Loire mais toute l’année en seconde catégorie dans la Nièvre….Et je m’arrête là car d’une département à l’autre, rien n’est identique, dates d’ouverture, de fermeture, tailles, restrictions…….Seul le passionné s’y retrouve et encore il m’arrive de me tromper.

Pourquoi là protège t’on la fraye du sandre et pas là ? Pourquoi tous ces particularisme locaux qui font que le brave pêcheur a toujours peur d’être dans l’illégalité ?

Les tentatives de simplification ont été faites, comme celle de l’ouverture au 1er mai, qui rappelons le avait été votée à l’unanimité lors d’un congrès de la FNPF  et désavouée l’année suivante pour des motifs électoralistes certes mais aussi de bonnes raisons visant à la protection du sandre lors de sa fraye.

Rien du coté gestionnaire ne peut se faire sans prendre en compte les particularismes locaux … Effectivement c’est pertinent  et logique pourtant  cette date du 1er mai qui n’avait satisfait personne  montrait une voie que j’avais applaudi : l’harmonisation ! Elle aurait peut être mené à une prise de conscience plus importante sur la protection des espèces lors de leur reproduction et conduit à des mesures moins radicales et complexes qui ne pénalisent que le pêcheur.

 

L’avenir en question :

Et maintenant que veut on faire ? A l’instar des communautés de communes on veux regrouper les petites AAPPMA, rendre cohérente la gestion piscicole avec une vision élargie, par bassin ou tête de bassin.

Effectivement sur le papier l’idée est séduisante mais le bon vieux système associatif  va encore freiner des quatre fers. Comment ça ? Fusionner avec les imbéciles d’à coté entendra t’on ! Jamais, on est chez nous et si la féde veux nous y obliger on sortira de la réciprocité !!!

Et vlan, patatra, une bonne idée qui devient inapplicable car il y a trop d’échelons humains à franchir, trop d’ambitions personnelles, de querelles de clocher jamais résolues.

 

Alors que faire ?

Je n’irai pas par quatre chemins, la pêche à papa a vécu il est temps de la réformer pour qu’elle puisse s’adapter en temps réel à ce que recherche le pêcheur, ainsi il reviendra au bord de l’eau, les rivières et plans d’eau seront gérées plus intelligemment et comment ?

Dans d’autres pays où la densité piscicole est importante où le nombre de pêcheurs est lui aussi important c’est l’état ou une collectivité territoriale qui gère la pêche. Pas de discussions qui durent 3 ans, non, une simple décision d’un spécialiste applicable de suite. Les personnes aux postes de responsabilité seraient des hydrobiologistes, des techniciens spécialisés et leur job serait simplement la gestion des rivières et de la pêche.

Évidemment  les AAPPMA seraient encore indispensables pour leur rôle local mais elles n’auraient plus aucun pouvoir décisionnaire juste d’animation, les fédés n’auraient elles plus lieu d’exister. Ainsi plus de copinage, plus de politique locale qui s’en mêle, plus de passes droits, plus d’inaction ou de gestion calamiteuse. Place à l’efficacité froide de l’administration. On peut taxer cette dernière d’être lente, inefficace, c’est pourtant tout le contraire qu’elle est en réalité, l’administration n’a pas d’état d’âme, elle décide et ses services agissent.

S’il n’y avait pas toutes ces petites jalousies, cette politique de clocher due à l’associatif, on verrait fleurir bien plus de parcours Nokill, de réservoirs fédéraux, de parcours spécialisés mais non, on y pense et face à la grogne en AG on laisse tomber. Une administration n’aurait pas ces scrupules là !

Regardez les étangs privés, bien gérés, il sont rentables. Les pêcheurs sont prêts à dépenser plusieurs dizaines d’euros pour passer une journée inoubliable et prendre des beaux poissons, alors que tous ou presque sont critiques vis à vis du prix de la carte majeur sur nos eaux gérées par les AAPPMA . Pourtant j’en oublie un des idéaux de l’associatif : les jeunes et les vieux, faciliter et apprendre la pêche aux gosses, permettre aux plus vieux de pratiquer une activité nature sans se ruiner.

 

Vous pensez que je délire, que je me laisse aller dans une réflexion peu en phase avec la réalité ?  Pourtant cette désaffection des pêcheurs est bien  réelle et ce n’est pas la pub pour la pêche à la télé qui fera revenir l’amateur de nature vers les cours d’eau.

Si rien ne change on se dirige inéluctablement vers une privatisation de la pêche et un privé c’est là pour gagner de l’argent, ce n’est pas le service public.  Comme l’a fort justement dit un administrateur de ma fédé dernièrement, un jour, un petit nombre de pêcheur paieront fort cher pour pêcher partout et nous ne pourront que les regarder en regrettant le bon vieux temps.

Mon tableau est certes un peu noir mais a bien y réfléchir depuis plusieurs années je ne vois que la solution d’une pêche prise en main par les pouvoirs publics. Je ne jette pas la pierre sur toutes les AAPPMA et toutes les fédés, beaucoup font un travail remarquable  mais même celles là sont conscientes que nous courrons à petits pas à notre perte si rien ne change.

Gardez quand même la pêche.

 

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